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« Topographie de la terreur » de Régis Descott : le diable se cache dans les détails

« Topographie de la terreur » de Régis Descott : le diable se cache dans les détails

08 March 2023 | PAR Bernard Massoubre

Après Pavillon 38 et Obscura, Régis Descott se replonge dans le monde de la psychiatrie, cette fois sous le régime nazi. Avec précision, la Topographie de la terreur en restitue l’horreur.

L’Intrigue

Berlin 1943. L’action se passe dans le cœur de la ville allemande (le Mitte).

Gehrard Lenz, commissaire à la Kripo, enquête sur l’assassinat d’un psychiatre membre du NSDAP (parti nazi), puis sur celui d’un second médecin. Dans la gorge des victimes, la police retrouve des ordonnances mises en boule et une étoile de David en tissu. Les soupçons se portent alors sur les homosexuels, puis sur les Juifs.

Parallèlement à ses investigations, le policier tente d’assurer la clandestinité de Flora, jeune Juive qu’il a mise enceinte.

Roman d’enquête et roman d’histoire : un polar historique

Le versant policier n’est pas la part la plus intéressante de Topographie de la terreur : le déroulé de l’enquête n’est pas haletant. De toute évidence, ce n’est pas un page-turner. Et, même si le roman est bien écrit (encore faudrait-il en définir le sens), le style de l’auteur est académique, banal.

Le versant historique 

La qualité des informations sur cette période donne aux libres ses lettres de noblesse. Régis Descott a fait un reportage édifiant sur la vie quotidienne des berlinois sous Hitler, et sous la main mise des officines SS.

L’endoctrinement commence par les éléments de langage (Sprachegelungen) : on doit remplacer les mots « extermination », « liquidation » ou « tuerie » par « solution finale », « évacuation » et « traitement spécial ». On ne doit pas parler de « déportation » mais de « travail à l’Est ».

De plus, il ne faut pas nommer un crime afin d’en limiter la portée. Le mot « Konfektion » est banni parce qu’il a une consonance trop juive.

Les Juifs en première ligne 

Dans un contexte marqué par « les retraites victorieuses » (bel oxymore) à l’Est et les avancées des Alliés au Sud, il s’agissait de montrer l’efficacité de la lutte pour la purification de la race.

Par exemple, les Juifs avaient l’interdiction de porter des vêtements chauds, d’avoir des plaques de cuisson et des animaux de compagnie à leur domicile.

L’Action T4 (mis en place de 1939 à 1943)

Ce programme bien connu est la pierre d’achoppement de Topographie de la terreur, le fil rouge qui sépare la vie de la mort. Son but était l’extermination (euthanasie) des handicapés mentaux et physiques. Ces derniers étaient en effet un poids mort dans l’économie de guerre. À leur sujet, on utilisait la sémantique suivante : Leben ohne Offnung (vie sans espoir) ou lebensunwert (indignes de vivre).

Les premières victimes étaient juives. Ce fut d’ailleurs un galop d’essai morbide, une mise en bouche, qui conduisit, à partir de 1942, à l’élimination de la population juive d’Europe.

Note de l’auteur 

Elle résume la démarche de Régis Descott. « L’idée étant, dans un roman traitant du totalitarisme, de montrer à quel point ce dernier, comme son nom l’indique, a pu s’imposer dans tous les aspects de l’existence, de la prière matinale au Führer aux exercices d’algèbre proposés aux écoliers, en passant par le contrôle de la pensée ».

Prenons deux exemples pour illustrer ces propos :

La Sippenhaft (responsabilité de la parenté) : si quelqu’un était accusé, on s’en prenait à son entourage. Ainsi, des familles entières ont payé de leur vie pour le crime de l’un des leurs.

Un simple exercice d’arithmétique pour des jeunes élèves suffit à comprendre le cynisme, et la perfidie, du système nazi :

Un malade mental coûte chaque jour 4 RM, un infirme 5,50 RM, un criminel 3,50 RM, un apprenti 2 RM.

Il y aurait en Allemagne 300.000 malades mentaux, et épileptiques, qui reçoivent des soins permanents. Calculez combien coûtent annuellement ces 300.000 malades ? Combien de prêts non remboursables de 1000 RM pourrait-on faire aux jeunes ménages si cet argent pouvait être économisé ?

Topographie de la terreur est à lire sans faute et sans tarder. Il permet de comprendre la mécanique intime de la politique d’Hitler.

 

Topographie de la terreur de Régis Descott. Éditions L’Archipel, 2023, 305 pages, 21€

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Bernard Massoubre

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