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Picasso. 8 femmes, de Laurence Madeline

Picasso. 8 femmes, de Laurence Madeline

24 April 2023 | PAR Nicolas Villodre

Au moment où s’amplifie la polémique autour du rapport de Picasso aux femmes, il est intéressant d’examiner, en sens inverse, ce qui a conduit huit d’entre elles à partager la vie du peintre. C’est ce que nous propose Laurence Madeline dans son dernier ouvrage qui retrace avec précision et nuance le parcours de Germaine Pichot, Fernande Olivier, Eva Gouel, Olga Khokhlova, Marie-Thérèse Walter, Dora Maar, Françoise Gilot et Jacqueline Roque.

L’amour est enfant de bohème

La liste, incomplète, des conquêtes féminines de Picasso, de muses ou modèles réduites à des œuvres, voire à des “périodes” stylistiques du cofondateur du cubisme, concept fascinant, le rattache, selon Laurence Madeline, “aux figures de Don Juan, Barbe-Bleue ou Jack l’Éventreur”. Dans la vie de bohème du rapin montmartrois qui précède celle de patachon de la rue de Boétie, Picasso s’attache successivement à Germaine Pichot, que l’histoire officielle rendit responsable du suicide du peintre catalan Carles Casagemas, Fernande Olivier, qui eut le tort de s’enticher d’un “futuriste” (qui ne l’était guère), trahison suprême, et Eva Gouel qui, pour sa part, quitta Louis Marcoussis pour le Malaguène.

En 1900, Casagemas décrivait à un camarade le quotidien des peintres qui allaient s’installer au Bateau-Lavoir : “Nous avons donc décidé que ni les femmes ni nous n’irions nous coucher plus tard que minuit et que nous terminerions tous les jours de déjeuner avant une heure, et qu’après le déjeuner, nous nous consacrerions à nos tableaux tandis que les femmes s’adonneraient aux tâches féminines, c’est-à-dire coudre, nettoyer, nous embrasser, et se laisser “peloter”. Enfin, mon ami, c’est une sorte d’Éden ou d’Arcadie obscène.” Fernande Olivier se lie à Alice Tokla et à Gertrude Stein, une des premières mécènes et collectionneuses de Picasso avant Kahnweiler. C’est durant leur idylle au Bateau-Lavoir et leur séjour à Horta, en Aragon, que la “formule cubiste” de Picasso, s’affirme avec les Demoiselles d’Avignon, d’après Fernande. 

Gentrification

« Une Russe, on l’épouse ! » : d’après la légende, Picasso suivit cet oukase de Diaghilev et se maria en 1917 avec Olga Khokhlova, une des interprètes du ballet Parade de Satie et Cocteau. Pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur étant pour Picasso qui, après avoir hésité un moment en 1915, d’après Madeline, opère un revirement esthétique et, avec son Portrait d’Olga dans un fauteuil (1918) façon Ingres, passe à un classicisme rassurant pour Gertrude Stein comme pour le “syndicat” des marchands, Georges Wildenstein et Paul Rosenberg. L’artiste connaît alors une “existence de parvenu”, écrit l’auteure, de “jeune maître” se fournissant à Savile Row, ayant chauffeur, cuisinière et, bientôt, nounou pour le fils que lui donnera Olga en 1921, Paul. Comme on sait, Picasso s’amourache alors de Marie-Thérèse Walter et Olga refusera de divorcer du grand homme.

Grâce à Apollinaire, Picasso rencontre très tôt André Breton, qui admire ses trouvailles cubistes – les collages et la nouvelle vision de l’objet – et qui finira par persuader Jacques Doucet d’acquérir en 1924 Les Demoiselles d’Avignon. La Révolution surréaliste puis la revue Le Minotaure ont recours à des illustrations de Picasso. Par Paul Éluard, Picasso fait la connaissance de Dora Maar qui “documentera” la réalisation du fameux mural Guernica, commandité par Josep Renau pour l’Expo universelle de 1937. D’après André Masson, Dora Maar “était très à gauche et exerçait une grande influence sur Picasso”. À cette époque, le peintre se révèle ouvertement bigame et Dora écrit à propos de sa rivale Marie-Thérèse : “derrière les murs, je savais que Picasso était avec elle (…). Oh! il n’en faisait pas un secret!”

Visuel : Olga Khokhlova, c. 1911, coll. BnF.

Laurence Madeline, Picasso. 8 femmes, éd. Hazan, 224 pages, 25€.

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Nicolas Villodre

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