
« Moulins à paroles », la logorrhée des vies ordinaires
Les éditions Actes sud publient le troisième volume des Moulins à paroles d’Alan Bennett, cinq petits monologues adaptés pour la télévision par Nicholas Hytner et diffusés par la BBC en 2020.
Cinq femmes, d‘âges variés, nous livrent en des monologues denses des tranches de vies ordinaires, où l’amour et la mort se côtoient sans éclats. N’allez pas chercher dans cette antique alliance une moderne réécriture des mythes grecs. Non, les amours dont il est ici question sont des amours quotidiennes, qui ne pourraient rivaliser avec celles d’aucun de nos héros millénaires. Quant aux morts, pour suspectes qu’elles puissent être, c’est à des deuils bien banals qu’elles se prêtent.
Alan Bennett nous présente en effet le récit de femmes des classes moyennes et inférieures des environs de Leeds, et nous fait sentir, par la crudité de ces monologues, l’ennui et le fatalisme qui irriguent ces vies. Plus encore qu’une réelle trivialité, c’est cette conscience aigüe de leur banalité qui rend ces personnages tragiques. Le talent de l’auteur réside en grande partie dans cette aptitude à nous rendre attachantes ces femmes assommées par le quotidien, en une écriture qui fait la part belle à l’humour.
Le texte nous livre avec une grande attention à la langue les réflexions de ces personnages déboussolés par un quotidien qui leur échappe. Il restitue aussi, grâce aux didascalies, les mouvements de caméra de l’émission de la BBC. Si ces dernières peuvent sembler un appel à considérer ces petits textes comme de simples scénarios, elles engagent aussi le lecteur à faire travailler son imagination et à en deviner la traduction à l’écran.
Moulins à paroles (3). Monologues, [Talking Heads], traduction de Adélaïde Pralon, Actes sud – Papiers, 13 euros, 80 pages
Visuel : © Actes sud / Boris Séméniako / Ikon Images