
“Merci bien pour la vie” de Sibylle Berg : la différence d’est en ouest
Dans son nouveau roman à paraître chez Actes Sud le 2 septembre, l’auteure allemande Sibylle Berg suit le parcours douloureux d’un hermaphrodite né en Allemagne de l’Est dans les années 1960. Vif, engagé et perçant.
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Jojo naît dans un hôpital est-allemand un autre soir d’indifférence. La mère est une aide-soignante ivrogne broyée par la RDA et ne sait pas trop quoi faire de son enfant, ni de son originalité : ni garçon, ni fille, Jojo est un hermaphrodite parfait. Comme il faut cocher une case, ce sera un garçon, qui passe la plus grande partie de son enfance dans un orphelinat hygiénique, pédagogique, communiste et triste, avant d’être maltraité chez un couple de fermiers auprès de qui il apprend à connaître les animaux. Massif, doué d’une voix d’ange et d’un cœur d’or, Jojo semble le seul personnage à avancer dans une société de gens méchants et aigris, qui avant ou après la Wende et le passage au capitalisme, semblent prendre ce personnage différent pour l’exutoire de leurs échecs.
Sur un ton vif et enlevé, Sibylle Berg raconte une histoire terrible. On suit les souffrances de Jojo avec le cœur lourd, un peut comme on suit les malheurs d’un personnage de Dickens. Prodigue en précisions sociales ou politiques venant parfaitement à propos, le roman est aussi l’occasion de revenir sur le traitement des hommes, des femmes et de la différence en Allemagne de l’est, l’auteure rappelant aux “ostalgiques” que le machisme et l’intolérance de camarades d’antan n’avaient rien à envier au rejet de la différence dans les sociétés capitalistes des années 1950 et 1960, dont nous sommes encore les héritiers. Merci bien pour la vie est une véritable fresque peuplée de personnages originaux aussi bien que d’archétypes et qu’on lit d’une traite.
Sibylle Berg, Merci bien pour la vie, trad. Rose Labourie, Actes Sud, 352 p., 23 euros. Sortie le septembre 2015.
visuel : couverture du livre