« Vies de forêt » de Karine Miermont
Karine Miermont arpente, depuis trente ans, la forêt des Vosges qui jouxte sa maison. Elle publie, aux Éditions de l’Atelier contemporain, un texte qui mélange sensations vécues, références scientifiques, anecdotes d’habitants et archives, pour donner vie(s) à la forêt.
Par Marie Viguier.
Prêter oreille au paysage
La forêt est un monde sans mot, peuplé de végétaux et d’animaux. Karine Miermont l’observe et cherche à dire, dans sa langue, ce qu’elle y voit. Le vocabulaire scientifique côtoie formations poétiques et métaphores imagées. Elle décrit les couleurs de la forêt qui chatoient dans des déclinaisons verbales. Des gammes infinies de verts. Le camaïeu de l’automne. Empruntant des sentiers, elle nous emmène voir les courbures, les étendues et les renfoncements de la terre modifiée par l’action des humains et de leur travail. Grâce à sa palette d’adjectifs, elle peint la qualité du monde, le passage du temps et cet état de l’être où tous les sens sont en éveil. Ses phrases balayent le paysage comme un long regard panoramique, rythmées par des virgules, détaillant ce qui passe sous ses yeux. Dans un très beau passage, Karine Miermont demande à sa fille, qui possède l’oreille absolue, de lire les notes chantées par la rivière.
La géographie croise aussi l’histoire. L’écrivaine décrit ce qu’elle voit mais elle raconte aussi ce qu’il y eut, jadis. Elle nous fait percevoir les changements géologiques qui ont mis si longtemps à créer le sol sur lequel nous circulons : le paysage qu’elle décrit était, il y a plusieurs millions d’années, recouvert d’une mer. Aussi, elle nous alerte sur les effets, déjà perceptibles, du changement climatique et du tourisme « vert ».
Guetter l’animal
Plusieurs histoires se répondent puisque Karine Miermont recompose, à partir d’archives, l’histoire d’une maison de ferme détruite par les guerres successives. Elle rencontre des habitants comme ce garde forestier qui sait calculer l’âge d’un arbre en enlaçant son tronc d’une ficelle. Elle adopte la perspective d’un chat, égaré dans la forêt, qui rencontre le renard, vit le froid et la faim mais finit par retrouver le chemin du village.
Cependant, ce qui retient peut-être le plus notre attention, est la patience que prend l’écrivaine pour pirscher, verbe qui signifie, dans les Vosges, guetter un animal. Elle attend, des heures, silencieuse, jumelles à la main. Parfois, miraculeusement, elle surprend un sanglier, une hulotte, un lièvre ou un cerf dans sa course. Elle relate ce spectacle entr’aperçu :
« Les deux cerfs qui mangeaient assez près l’un de l’autre (…) se rapprochent ; plus exactement ce sont leurs têtes qui se rapprochent jusqu’à faire toucher leur ramure, comme l’image d’un combat de cerfs pendant le brame, mais au ralenti et sans aucune violence. Plutôt comme un jeu, un jeu très doux, une tendre parade, une esquisse, un simulacre, un rituel. » (p.79)
Karina Miermont cherche à apercevoir ceux qui fuient les humains et témoigne du plaisir et de la surprise mêlés quand elle parvient à capter ce spectacle de la vie. Elle apprend à lire, et nous avec elle, les indices de leur passage, le bruit qui les caractérise c’est-à-dire tout ce langage sauvage dont l’humain est, la plupart du temps, exclu.
Texte poétique et scientifique, Vies de forêt prône le temps lent, l’apprentissage de la solitude et la jubilation de la rencontre avec le vivant.
Vies de forêt de Karine Miermont, Éditions L’Atelier contemporain, 20euros. Sortie le 4 mars 2022.
Visuel : couverture du livre