
“Une vie après l’autre” : Kate Atkinson signe un roman (trop ?) intelligent
Le roman commence en Allemagne, en 1930. La jeune Anglaise Ursula Todd tire de son sac à main le vieux pistolet avec lequel son père a fait la Grande Guerre, et assassine Hitler. Flashback : 11 février 1910, Ursula Todd vient au monde, et meurt aussitôt. L’histoire reprend alors. 11 février 1910 : Ursula Todd vient au monde, et s’étouffe avec le cordon ombilical. Retour à la case départ. 11 février 1910 : parce que sa mère a eu la présence d’esprit d’avoir une paire de ciseaux à portée de main, Ursula survit. Pour mourir noyée sur une plage quatre ans plus tard. Et on recommence…
Evidemment, plus l’on avance dans le roman, plus la longévité d’Ursula se prolonge. Certaines scènes sont répétées à l’envi jusqu’à ce qu’Ursula accomplisse la petite action apparemment insignifiante qui va lui sauver la vie – sans qu’on sache réellement si c’est un pressentiment qui la pousse, ou le hasard, ou une connaissance mal comprise du risque… On pourrait craindre que le procédé narratif devienne vite lassant, il n’en est rien : au contraire, il est fascinant de voir toutes ces secondes chances qui sont accordées à Ursula, et de se rendre compte que selon le chemin qu’elle prend, elle arrive à en profiter – ou pas.
Cela faisait quatre romans que Kate Atkinson suivait Jackson Brodie, un détective privé, si bien que l’on était toujours à la lisière du roman policier. Avec Une vie après l’autre, Atkinson change de registre en s’essayant à un nouveau genre : une fiction légèrement surréaliste, qui se nourrit de l’Histoire (notamment des deux guerres du 20e siècle) pour y entremêler le destin de ses personnages. Sans se départir de ce que l’on aime chez elle – sa merveilleuse facilité à raconter une histoire ainsi que son sens de l’humour, toujours féroce et à propos, c’est une nouvelle facette que livre Kate Atkinson à ses lecteurs. .
L’artifice de faire renaître Ursula après chacune de ses morts est intéressant à plusieurs titres : bien sûr, il permet de faire réfléchir aux conséquences de ces actes, aux petits détails qui font notre destin, mais il est aussi un excellent procédé narratif pour construire un personnage, l’explorer et le donner à voir au lecteur au fur et à mesure qu’il s’affirme et prend forme. Car en fonction de ses différentes vies, Ursula révèle des aspects de son caractère et de sa personnalité qu’elle réfrène plus dans d’autres – Kate Atkinson semble ainsi réaliser le rêve de l’écrivain qui expérimente avec son personnage, la tue pour mieux la faire revivre et modifier ce qui n’allait pas dans la version précédente, en véritable marionnettiste.
Et c’est diablement intelligent. Peut-être un peu trop. Car Kate Atkinson semble tout à la mise en place et au tissage de sa bonne idée, à laquelle elle consacre toute son énergie, quitte à rendre parfois le roman trop froid, trop cérébral – alors qu’il y a matière à s’émouvoir, souvent. Mais le lecteur est tellement happé par cette histoire de mort et de retour à la vie qu’il n’attend que la prochaine “mort” d’Ursula, quitte à ne pas suffisamment s’attarder sur l’importance des sujets abordés : la mutation connue par le Royaume-Uni tout au long des vies d’Ursula, le retour des soldats après la Grande Guerre et la difficile réadaptation à la vie quotidienne face à ceux qui n’ont pas connu les horreurs du front, la condition des femmes entre les deux guerres à travers le portrait d’Ursula, mais aussi de sa mère Sylvie et de sa tante Izzie… Car Une vie après l’autre donne beaucoup plus à lire qu’il ne le laisse paraître au premier abord.
Il n’en reste pas moins qu’Une vie après l’autre est un roman dans lequel on s’installe avec plaisir : plus de cinq cents pages romanesques, pleines d’aventures, d’amour et de rebondissements, et que l’on tourne avec délectation. Un beau gros roman populaire – au sens noble du terme.
Une vie après l’autre, de Kate Atkinson. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Isabelle Caron. Editions Grasset. Parution le 14 janvier 2015. 528 p. Prix : 22,50 €.
Articles liés
One thought on ““Une vie après l’autre” : Kate Atkinson signe un roman (trop ?) intelligent”
Commentaire(s)
Publier un commentaire
Votre adresse email ne sera pas publiée.
Publier un commentaire
Votre adresse email ne sera pas publiée.
Joëlle Carzon
Excellent roman populaire effectivement. Je prends énormément de plaisir à la lecture de ce roman multiple et souvent surprenant.