
« Un matin nous partons » de Florence Chapiro : récit d’un exil
Née à Paris en 1980, Florence Chapiro est normalienne, agrégée et professeur de lettres. Après son premier roman, Les favorites, elle publie en ce début d’année, Un matin nous partons aux éditions Fayard. Un roman dense et subtil sur les racines, la famille et l’exil.
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Alors que la Tunisie a obtenu son indépendance, sans guerre ni scandale international, la famille Klein, juifs aisés vivant au cœur de Tunis, décide d’envoyer toute la fratrie de l’autre côté de la Méditerranée, là où tout est encore possible : Paris. Trois sœurs et un frère vont tour à tour débarquer dans la capitale, des fantasmes plein la tête, rêvant de peaux claires, de diplômes universitaires et de plaque nominative en métal doré. Droit, médecine, rien n’est trop beau pour ses enfants, pense Liliane Klein, tyran impitoyable et rigide qui gouverne d’une main de maître sa petite dynastie.
Mais l’éducation froide et sans pitié inculquée aux enfants va marquer à tout jamais leur vision du monde et d’eux-mêmes. Elevées dans la haine de la beauté et du paraître, les filles n’auront que peu de choix pour « réussir ». De Nina, l’ainée méchante et envieuse à Suzanne la fragile ou Judith la petite dernière qui, comble de l’horreur, est née belle, “fleur rare poussée au hasard”, chacune à sa manière devra transformer ses blessures d’enfant en armes pour survivre…avec plus ou moins de succès. Seul le garçon, fierté toute particulière de sa mère, aura le luxe de la liberté.
“C’est une fratrie étrange les Klein. Magistrale à mes yeux, mais dont on dirait qu’elle danse au bord d’un gouffre”.
Loin de la douceur de Tunis, tous vont essayer de faire leur trou, poussés par la pression maternelle, sans dérogation possible. Dans un Paris qui a effacé d’un revers de la main leur rang social tunisien, ils vont devenir les caricatures de ces Parisiens aisés qu’ils ont tant fantasmés. Sous les yeux de Maud, témoin précieux et amie d’enfance si fidèle, la fratrie va se déchirer et connaitre les douleurs de l’exil. Peut-on tout recommencer en oubliant ses racines? Comment vivre en paix dans le déni des siens?
« Judith, c’est celle de nous toutes qui perdra le plus gros. Regarde-la bien se casser la figure. Cela commencera par la beauté qui s’en va et la perte de ce pitoyable regard des hommes sur elle. Suzanne en crève de jalousie parce qu’elle est bête, mais, moi, j’attends depuis longtemps Judith en haut de ma montagne et, quand elle arrivera, déchue, je lui dirai : bienvenue chez celles qu’on ne remarque pas. Elle va en mourir. » (p.177)
Au-delà de l’appartenance et de l’exil, Un matin nous partons raconte la violence des rapports humains et la fatalité des blessures d’enfance. Comment grandir au sein d’une famille qui vous étouffe jusqu’à vous renier? Un roman précis, viscéral et d’une grande maturité.
Un matin nous partons, de Florence Chapiro. Editions Fayard. Parution: Janvier 2014. 300p. Prix: 20€.
Visuel: © Couverture de livre
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