Fictions
« Dans la fureur du monde » étranger mais familier de Chris Kraus

« Dans la fureur du monde » étranger mais familier de Chris Kraus

28 August 2019 | PAR Marianne Fougere

L’auteur culte de plusieurs générations poursuit son exploration de l’imperfection romancée.

La sortie d’un livre de Chris Kraus constitue toujours en elle-même un petit événement. Auteure du cultissime I love Dick– réédité en 2016 par Flammarion et adapté en série, l’écrivaine et réalisatrice américaine fascine par la facilité avec laquelle elle se joue des genres et des conventions. Avec elle, la littérature se transforme en un joyeux bordel : fiction/non-fiction, thriller/romance, personnel/politique, réalisme/étrangeté, etc. Livre après livre, les rangs de son fan-club s’étoffent comme ceux de son nouveau personnage Catt (Chris ?) : « des garçons souffrant d’Asperger, des filles qui avaient été hospitalisées pour maladies mentales, des chargés de cours qui n’obtenaient pas leur titularisation, des danseuses érotiques, des adeptes de la scarification, des putes ».

Mais, ce n’est pas pour échapper à cette bande de freaks que Catt quitte Los Angeles pour échouer dans un motel miteux. Elle fuit celui qu’elle appelle « son tueur », cet homme rencontré sur un site de bondage, cet homme pour qui elle a accepté de porter un collier de chien ( !) tant il lui permettait d’apaiser son souhait d’en finir. Se sauver donc pour mieux renaître, s’enfuir pour mieux rebondir, investir dans l’immobilier délabré du Nouveau Mexique pour mieux s’ancrer dans la vie. Et, tant qu’à faire, tomber à nouveau amoureuse, peu importe les avis partagés de son futur-ex-mari ou de ses amis californiens. Catt jette son dévolu sur Paul Garcia, alcoolique en voie de rémission, tout juste sorti de prison après avoir purgé une peine de 16 mois pour avoir escroquer son ancien employeur de 937 dollars… « Au total, la phase de séduction dure trois jours. Ensuite, ils sont ensemble ».

La langue de Chris Kraus est brute, sans artifice, ses phrases simples. Tout l’inverse de son roman qui, de par son absence de centre, d’intrigue, de forme définis, n’a de cesse de perdre et perturber son lecteur. Alternant les points de vue de Catt et de Paul, Dans la fureur du monde ne saurait être réduit à une histoire d’amour conventionnelle. Mais est-ce pour autant un thriller ? Rien n’est moins sûr, il n’y a qu’à lire le portrait acerbe et sans pitié que livre Kraus de l’Amérique « bushienne ». S’agit-il alors d’une dénonciation du système judiciaire ? Ou de la critique sans concession d’une société qui condamne ses pauvres à l’impuissance ? S’agit-il plutôt de l’exploration de la fragilité des êtres quelque soit leur classe ? Ou de l’expérimentation d’une inversion des rôles et des pouvoirs ? Peu importe, car le génie de Kraus se situe ailleurs, bien loin des réponses que nous pourrions apporter à ces questions. La singularité de son écriture se loge dans l’imperfection de son roman, dans le talent qu’elle a d’établir entre ses personnages des connections surprenantes, bizarres mais pourtant étrangement réelles.

 

Chris Kraus, Dans la fureur du monde [Summer of hate], traduit de l’anglais par Alice Zeniter, Flammarion, sortie le 28 août 2019, 304 pages, 20 euros.

 

Visuel: couverture du livre

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Marianne Fougere

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