“Rester barbare” de Louisa Yousfi
Reprenant un célèbre énoncé du romancier algérien Kateb Yacine, la journaliste Louisa Yousfi publie aux éditions La Fabrique un ouvrage poignant sur la condition des barbares dans nos sociétés occidentales.
Par Samuel Fergombé
Écrire pour exister
L’essai de Louisa Yousfi s’ouvre sur cet énoncé de Kateb Yacine : « Je sens que j’ai tellement de choses à dire qu’il vaut mieux que je ne sois pas trop cultivé. Il faut que je garde une espèce de barbarie, il faut que je reste barbare ». La journaliste Louisa Yousfi est en effet partie de la démarche du romancier Algérien pour analyser comment des romanciers, des humoristes, des rappeurs se sont emparés de l’art pour ne pas simplement dénoncer, mais aussi protester contre l’ordre établi. Ainsi au fil des chapitres, l’auteure s’est intéressée à la manière dont l’écriture peut devenir un acte de résistance, mais aussi un moyen de s’assumer en tant que « barbare ». Ce terme de « barbare » qu’emploie Yacine et que reprend Yousfi renvoie à tout ce que la société peut produire d’altérité. Une altérité qui est souvent perçue comme négative, voire nuisible. Les barbares sont perçus encore aujourd’hui comme des « ensauvagés », des personnes à assimiler.
La barbarie comme acte d’émancipation
Louisa Yousfi a tissé un récit analytique de nos sociétés anciennement coloniales et qui poursuivent plus ou moins directement une certaine hiérarchie raciale et sociale. Son essai est aussi un récit poignant où l’on parcourt les textes de ceux pour qui la barbarie est un acte d’énonciation, un acte de révolte, mais aussi un acte d’affirmation. Plus qu’un témoignage, la barbarie est une raison d’être pour des auteurs comme Chester Himes, Aimé Césaire, ou des rappeurs comme Booba et PNL. La barbarie c’est l’affranchissement par les mots. Par exemple, si l’on assimile un Booba à un Rimbaud, nous faisons fausse route et nous ne comprenons pas l’acte du barbare, pour qui les mots sont une histoire de luttes et s’inscrivent dans une histoire à la fois personnelle et collective. C’est la raison pour laquelle les barbares ne peuvent pas être compris par tous car ils protestent contre une condition qui ne leur est pas favorable. Une condition où ils sont esclaves, accusés, condamnés, etc.
L’émancipation chez les barbares n’est possible que par l’affirmation de sa condition, plutôt que par un rejet de celle-ci qui serait une intégration au système qui opprime, broie et asservit les individus.
Enfin, le propos final de l’essai de Yousfi est aussi très intéressant, puisqu’elle s’interroge également sur la place des femmes issues de l’immigration. Ces femmes jusqu’à aujourd’hui ne se sont pas ou encore très peu affirmées en tant que barbares. Ce propos final ouvre alors une autre piste de réflexion sur la condition des femmes, qui sont elles aussi invisibilisées et souvent opprimées. Tout au long du récit, l’auteure apporte un regard presque intime aux auteurs dont elle parle. C’est d’ailleurs pour toutes les pistes de réflexion apportées par Louisa Yousfi que nous vous conseillons de lire « Rester barbare », que vous pouvez en lire en parallèle du visionnage du documentaire « Exterminez toutes ces brutes » de Raoul Peck.
Lousia Yousfi, Rester Barbare, La Fabrique, 160 p., 10 euros.
visuel (c) Couverture du livre