Essais
Hélène Coutard : Partir ou mourir en Arabie Saoudite, les Fugitives n’ont pas le choix

Hélène Coutard : Partir ou mourir en Arabie Saoudite, les Fugitives n’ont pas le choix

31 May 2021 | PAR Jean-Marie Chamouard

Il existe une diaspora saoudienne féminine cachée. De nombreuses femmes fuient l’Arabie Saoudite pour échapper à un destin tragique. La journaliste Hélène Coutard a rencontré une trentaine de ces fugitives. Ces portraits de femmes, très émouvants, permettent de comprendre le tutorat, ce système étatique et religieux qui les opprime.

Des princesses en exil

«Partons d’ici», dit Sara à sa sœur Munira. Leur fuite a été minutieusement préparée vers la Géorgie puis la France. Julia a fuit la maltraitance familiale et son vieillard de mari. Lors d’un voyage en France elle s’est précipitée, prenant sa décision en quelques secondes, vers la douane de Roissy pour demander refuge, arrachant ostensiblement son abaya noire. Selma vivait dans une famille de trente cinq enfants. Elle a pu «berner» sa famille pour épouser l’homme qu’elle aime et grâce à lui «ne plus jamais avoir un tuteur». Le contexte est souvent le même, au moins dans les familles conservatrices: le tutorat du père ou du frère puis du mari, l’enfermement, les violences familiales ou conjugales. Les jeunes filles ne peuvent choisir ni leur études ni leur mari. Les violences domestiques concerneraient 80% des enfants. La fuite a l’étranger peut être interrompue brutalement, comme pour Dina qui a été kidnappée à la demande de sa famille, à l’aéroport de Manille et ré-expédiée de force à Ryad. Après l’échec de leurs fuites les princesses Émiraties et Saoudiennes sont devenues «les princesses enfermées». Le séjour en Angleterre de Robin s’est transformée en une descente aux enfers avant qu’elle puisse bénéficier du statut de demandeur d’asile . Certaines personnalités sont exceptionnelles comme Suha qui a «sculpté» sa vie et fondé le réseau «Sisterhood», sauvant Rafah d’un retour forcé en Arabie. Cette entraide est nécessaire car «même en ayant tout prévu, l’exil c’est très difficile».

Une enquête sensible 

Hèléne Coutard a réalisé une très belle enquête journalistique. Le lecteur sera touché par ces destins de femmes. Hèlène Coutard analyse le contexte politique et religieux actuel en Arabie Saoudite, le poids de la tradition et du Wahhabisme. La réputation de la famille, le maintien des apparences sont les valeurs suprêmes, expliquant l’ampleur du contrôle social sur les jeunes femmes, l’espionnage mutuel et la délation généralisés. Une deuxième vie clandestine est parfois possible en particulier grâce aux réseaux sociaux. La technologie renforce aussi le contrôle du tuteur comme avec l’application «A vos ordres». La décision de fuir est une décision héroïque, comme le reconnaît la sœur de Julia. C’est le choix de se préserver, de «commencer une nouvelle vie, la sienne». C’est également le fruit d’un long cheminement idéologique, comme Julia qui a été transformée par la lecture de Simone de Beauvoir. Il survient souvent une déconstruction de la pensée religieuse parfois jusqu’à l’athéisme. En exil la peur ne disparaît pas. La fuite est la honte de la famille qui cherche à récupérer à n’importe quel prix la fugitive. Les rapports de domination et la peur entretenue des hommes rendent même à l’étranger les relations amoureuses difficiles.
Ce livre est passionnant, éclairant, pour le lecteur qui sera admiratif devant ces héroïnes anonymes et sera édifié par cet «esclavage patriarcal» qui persiste en Arabie Saoudite.

Hélène Coutard, Les Fugitives, éditions du Seuil, 235 pages, 19 Euros , sortie en Février 2021.
visuel : couverture du livre

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Jean-Marie Chamouard

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