Avec l’essai « Que fait la police ? Et comment s’en passer », Paul Rocher analyse avec minutie l’emprise policière dans nos sociétés
Deux ans après son premier essai intitulé « Gazer, mutiler, soumettre: politique de l’arme non létale » (2020), l’économiste Paul Rocher publie aux éditions La Fabrique une analyse approfondie du rôle de l’institution policière.
Une réfutation du “mythe policier”
A la suite de son étude sur le lien entre l’usage de plus en plus croissant des armes non létales (Nuages lacrymogènes, grenades de désencerclement, LBD 40…) et l’escalade de la violence lors des manifestations, Paul Rocher revient sur un certain nombre de présupposés qui sont au fondement du « mythe policier » dans nos sociétés. En s’appuyant sur une pluralité d’études, l’objet de ce livre est de réfuter minutieusement les idées selon lesquelles la police empêcherait le crime et manquerait de moyens pour parvenir à cette fin. Par le biais d’une approche subtile et pluridisciplinaire des sciences humaines et sociales, Paul Rocher historicise l’institution policière en France et montre comment celle-ci est devenue omnipotente.
Une autonomisation progressive de l’institution policière ?
Ce livre rend compte de l’institutionnalisation de la police et de son autonomisation qui lui permet d’avoir une emprise de plus en plus croissante sur la société. Avec précision, l’auteur porte ainsi une grande attention à retracer le rôle historique de la police, qui avant l’apparition du capitalisme n’était pas nécessairement lié aux enjeux de maintien de l’ordre. A ses origines, la police était communautaire et pouvait s’occuper de tâches diverses comme l’enlèvement des encombrants, ou la lutte contre le vagabondage. Ce n’est qu’avec le développement du capitalisme à la fin du XIXème siècle, que la police se professionnalise et devient une institution à part entière chargé d’assurer l’ordre et de réprimer. Pour l’auteur, cette répression s’est profondément accentuée avec l’émergence du néolibéralisme, qui détricote l’État-providence et admoneste les corps qui se mobilisent contre les réformes entreprises par nos dirigeants.
La professionnalisation progressive de la police ne s’est pas faite par hasard et sans conséquences. L’économiste montre que c’est principalement pour des intérêts privés et protéger l’ordre établi que la police se structure à partir du Second Empire. L’institution policière est donc d’abord construite dans les intérêts de la classe capitaliste dominante, qui est désireuse d’éviter toutes contestations. Progressivement cette institution va prendre une place de plus en plus importante, et jouer un rôle dans la déportation des Juifs durant la Shoah. Au travers des exemples de la Shoah, des banlieues et des manifestations des Gilets Jaunes, Paul Rocher retrace comment par la colonisation, l’impérialisme et le capitalisme, la police se construit contre une grande partie du peuple. L’auteur conteste ainsi les mots prononcés par le Président de la République Emmanuel Macron, qui soutenait que les montées des répressions racistes et violentes de la police étaient étroitement liées à une montée générale du racisme et des violences en France.
Une réflexion sur le dépassement de l’institution policière
Dans la dernière partie du livre, Paul Rocher soutient que nous pourrions nous passer de la police et qu’une autre façon d’assurer la sûreté dans nos sociétés est possible. Cette thèse que porte l’auteur et qui sert de sous-titre au livre s’appuie sur deux exemples : l’Irlande du Nord et l’Afrique du Sud. Rocher montre que dans ces deux cas, d’autres formes comme les comités de rue se sont structurés contre des formes d’institution racistes, ou ségrégationnistes. Avec ce dernier chapitre, Paul Rocher envisage une autre résolution aux problèmes que posent l’institution policière.
L’intérêt du travail de Paul Rocher est d’apporter une réflexion nouvelle sur le rôle et le fonctionnement de l’institution policière. Une institution dont le racisme apparaît comme systémique et surdimensionnée par rapport aux nombres de crimes et de délits commis. Si les références sont multiples, convoquant sociologie, histoire, économie, la lecture de « Que fait la police ? et comment s’en passer » n’est jamais hermétique. Ainsi, dans une langue claire, Rocher nous enjoint non seulement à dépasser les présupposés qui fondent l’idée que la police est une institution nécessaire, qui est au service de toute la société, mais également à réfléchir à d’autres formes de gestion des conflits indépendantes de l’appareil d’État.
En plus de cette réflexion sur l’institution policière qui est disponible dans toutes nos librairies, nous vous invitons à découvrir le très saisissant documentaire Un pays qui se tient sage (2020) du journaliste David Dufresne.
Que fait la police ? et comment s’en passer, Paul Rocher, Paris, La Fabrique, 2022, 256 pages, 14 euros.
visuel(c) couverture du livre