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Conversations with Friends : Au-delà des écrans

Conversations with Friends : Au-delà des écrans

05 September 2022 | PAR Alice Mikowski

Les créateurs de Normal People poursuivent leur adaptation à l’écran de l’œuvre de Sally Rooney avec Conversations with Friends, une mini-série qui pourrait agacer si ses personnages n’exerçaient pas sur le téléspectateur un charme redoutable.

Par Alice Mikowski

Beauté et justesse

Pourquoi ce titre ? Car Frances écrit des sms à Bobbi ? A Nick ? Leur téléphone ? Certes, la mini-série arrive à filmer de façon fluide les conversations par écrans interposés, bien qu’il soit parfois nécessaire d’approcher son visage de son propre écran pour bien distinguer ce qui est écrit. Mais est-ce vraiment son point saillant ? Ne s’agit-il pas d’histoires d’amour entrecroisées finalement assez classiques ?
Peut-être mais… Déconstruites. Certes encore. Amours homosexuelles, bisexuelles, remise en question du modèle du couple monogame…Si le choix de faire souffrir l’héroïne d’endométriose, maladie très longtemps taboue dont il est enfin plus largement question, est une touche plus originale, le reste donne là encore une légère impression de déjà-vu. Non, ce qui fascine dans Conversations with Friends n’est peut-être pas le scénario, ni la dimension politique du propos. Peut-être est-ce la beauté et la justesse de la série, grâce à un jeu d’acteurs qui frôle la perfection. Cette beauté, cette justesse, cette douceur que l’on retrouvait dans Normal People, des mêmes créateurs et issu d’un autre ouvrage de la même autrice, Sally Rooney, avec des acteurs différents et un scénario présentant des similitudes – l’amour, la vie étudiante, la précarité, la littérature. L’Irlande.

Insanely beautiful

Les silences qui scandent les dialogues, la lenteur du rythme, l’importance des regards, des hésitations, des larmes. Les yeux brillants, les yeux attentifs, les yeux perdus. Une pureté également. Si Frances Flynn n’est pas spécialement jolie – elle a un physique somme toute ordinaire – et pourrait sembler caricaturale dans le rôle de l’intello issue d’un milieu populaire complètement inhibée socialement, elle paraît au contraire plus vraie que nature du fait de l’humilité de son allure générale, de sa spontanéité et de ses contradictions : pure, dans son naturel, sa gêne et l’apparent paradoxe entre sa sincérité et la certitude de ses goûts intellectuels d’une part, son embarras social, d’autre part et la façon dont elle assume ses attirances et ses sentiments, enfin. Et puis, comme dans la plupart des films et des séries sentimentales, cette taiseuse marginale se révèle extrêmement séduisante et à l’aise dans des « scènes de lit» particulièrement réussies : au sujet de Normal People déjà, un tweet louait des scènes d’amour « insanely beautiful.»

Des personnages complexes 

De la même façon, le personnage de sa meilleure amie et ancienne amoureuse Bobbi paraît à première vue assez stéréotypé : métisse à dreadlocks au caractère bien trempé, lesbienne en révolte contre les corsets sociétaux, mais qui abrite un cœur de porcelaine et des fragilités familiales. Il y a néanmoins quelque chose autour de cette façon d’être tout ensemble très vacillante et très sexy, avec ses lèvres ourlées et timides et les tatouages qui parcourent le corps de l’ actrice qui est également mannequin, qui convainc en émouvant. Peut-être que c’est justement dans ses conversations avec Frances, dans sa facilité à lui dire les choses et à attendre qu’elle fasse de même, dans ses désirs très directs et sa façon d’assumer tous ses états d’âme et ses relations, qu’elle suscite l’empathie et l’intérêt.

Le personnage de Nick est peut-être de prime abord le plus lisse des trois principaux : ce beau gosse riche et torturé qui aimerait percer en tant que comédien et souffre au milieu de deux femmes qui l’aiment tant. Cela peut faire penser à cette réplique que Chandler assène à un Ross déchiré entre Rachel et Julie dans la saison 2 de Friends : “Oh God, two women love me. My wallet is too small for my fifty, and my diamond shoes are too small !” Et pourtant. Il tombe fou amoureux d’une fille qui n’est ni sublime, ni pleine de succès, ni extraordinaire. Il se trouve lui-même assez peu fascinant, fait rare une fois encore. Il est trompé par sa femme avant de la tromper. Veut absolument lui dire qu’il la trompe, sans la quitter pour autant. Est indéniablement gentil, très gentil, trop gentil ? Il demande sans cesse pardon. Quand il est lâche, il se trouve lâche. Et ses pleurs, fréquents, dépassent le volume lacrymal ordinairement autorisé aux héros masculins dans les fictions.

Finalement, ce qui fait le charme de Conversations with Friends est peut-être la large place que cette mini-série accorde à une caractéristique assez peu en vogue dans la société chronométrée et productive dans laquelle nous sommes plongés : la vulnérabilité.

Conversations with Friends, mini-série d’Alice Birch avec Alison Oliver, Joe Alwyn, Sasha Lane et Jemima Kirke, sur Canal +

visuel (c) affiche 

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Alice Mikowski

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