Cinema
Ryan Gosling dans la peau du rutilant cinéaste-chorégraphe Busby Berkeley

Ryan Gosling dans la peau du rutilant cinéaste-chorégraphe Busby Berkeley

26 March 2014 | PAR Charlotte Dronier

Depuis quelques jours, il se murmure que l’un des acteurs les plus prolifiques de sa génération soit investi dans un nouveau projet de grande ampleur. Venant tout juste d’achever le tournage de son film How to catch a Monster, marquant ainsi ses débuts derrière la caméra, Ryan Gosling ambitionne de renouveler cette expérience à travers un biopic sur Busby Berkeley, figure décisive dans l’histoire du septième art, et dont il se ferait également l’interprète…

386px-Ryan_Gosling_Cannes_2011Si dès ses origines le cinéma semble arborer une certaine prédilection avec la danse, c’est au tournant des années 1930 que l’alchimie opère dans tout son éclat à travers la comédie musicale. Ce genre de spectacle typique de ce début de siècle brillait pourtant déjà sur les scènes de Broadway et depuis plus d’une dizaine d’années au sein de théâtres internationaux, loin des projecteurs d’Hollywood. Mais c’est dans ces studios que sa notoriété envahit l’écran. Mêlant savamment jazz, swing, chansons populaires, opérette, vaudeville, ballet et surtout les claquettes, au coeur même de toutes les futures chorégraphies des prochaines décennies de cet âge d’or, elles incarnent une véritable machine à rêver.

Cette forme répond en effet à un désir de divertissement, ce fameux « entertainment de masse » forgé d’évasion, de fantaisie, d’amour, de spectacle face aux guerres et récessions. Elle est aussi un bon catalyseur et une catharsis des pulsions condamnées par la bienséance du puritanisme mondial de l’époque. C’est en ce sens que Busby Berkeley teintait ses films d’humour et de fraîcheur, comme le témoignent ses propos cités dans un article de la revue Première: « A l’ère de la dépression et des guerres, où certains font la queue à la soupe populaire pour survivre, j’essayais d’aider les gens à s’échapper de la misère. Je voulais rendre les gens heureux, leur changer les idées, même si ce n’était que pour une heure. »

Fils d’acteurs, cet enfant de la balle exprime quant à lui sa sensibilité artistique à travers la danse durant les années 1920. Bien vite, ses collaborations le conduiront à rencontrer lui aussi l’univers du cinéma. C’est à partir de Whoopee, réalisé en 1930 par Eddie Cantor, que la sophistication chorégraphique du jeune Busby Berkeley et la virtuosité du regard de sa caméra métamorphosent le spectacle à l’écran. Trois nominations aux Oscars en résultent, dont une pour 42ème rue de Lloyd Bacon (1933), phénomène jamais vu jusqu’alors pour une comédie musicale.

Grâce à la complicité du producteur de revues Florenz Ziegfeld qui nourrit les fantasmes de plusieurs générations avec ses Ziegfeld Girls de Broadway et les œuvres éponymes qui leur sont dédiées (The Great Ziegfeld de R. Leonard en 1936, Ziegfeld Follies par Vincente Minnelli en 1946…), Busby Berkeley chorégraphie l’une de ses plus grandes réussites, You stepped out of a dream, dans Ziegfeld Girl en 1941, sous l’œil de Robert Z. Leonard.

En prenant au mot ce titre plein de promesses et reconduisant son allégorie tout au long d’une trentaine de films, Busby Berkeley rompt avec les habitudes visuelles du spectateur et l’arrache à ses conventions. Dans une explosion de tableaux kaléidoscopiques, de figures géométriques qui se répètent, faisant ainsi naître une infinité de danseuses synchronisées en chorus lines, le public perd ses repères et se laisse glisser dans ce rêve vertigineux, ces délicieuses abysses aux noirs et blancs contrastés par les jeux de lumières. Cette allégresse sera d’autant plus explosive avec le Technicolor trichrome, mis au point au milieu des années 1930.

Une impression de (sur)vol, presque palpable, s’empare de notre oeil. Une énergie cinétique inédite jusqu’alors, puisque le cinéaste invente la plongée verticale à 90°, des plafonds du studio aux têtes coiffées de plumes et d’ornements. Il marquera ainsi de son nom ce procédé cinématographique. Son style se distingue également par un zoom et des déplacements câblés nerveux, passant d’un plan large au détail d’un visage ou d’une paillette sans montage apparent. Le tout est articulé par une alternance d’incrustations d’images, de transitions complexes ou de longs travellings. « Ce qu’il chorégraphiait véritablement était la caméra – il la faisait danser. (…) L’un des concepts les plus jubilatoires des films de Berkeley est que, au sein de la trame narrative du film, les numéros de danse sont exécutés sur des scènes de théâtres, ce qui constitue une autre part du spectacle. Peu importe si leur immensité ne pourra jamais s’adapter, même au plus large des théâtres. Berkeley faisait un clin d’oeil au public en lui ouvrant le rideau sur un autre monde, et lorsque c’était fini, le public du théâtre applaudissait. » observe la chercheuse Jenelle Porter au sein de son ouvrage « Dance with camera » (2009).

Les spectateurs de la salle de cinéma étaient donc doublement immergés dans le film, dans ce spectacle qu’ils semblent partager simultanément avec le public dématérialisé. Mais ils sont loin d’être égaux en vérité: le pouvoir visuel ubiquitaire offert par la caméra est bien supérieur à celui frontal de notre vision « traditionnelle ». Si les mouvements exécutés sont les mêmes, leur perception en est tout autre.

C’est ici que la chorégraphie élaborée pour l’écran prend tout son sens et son ampleur. En effet, si Busby Berkeley a innové la façon de filmer la danse, il a également établi une nouvelle manière de l’appréhender et de la concevoir. Outre l’évocation de la structure des ballets classiques au final en apothéose, élément typique en clôture des comédies musicales des années 1920-1930, le vocabulaire se développe.

Désormais bien plus considéré qu’un simple accessoire scénaristique, il va esquisser ce que l’on appelle aujourd’hui le ballet moderne(-jazz). Les frontières entre réalisateurs et chorégraphes deviennent de plus en plus poreuses et un dialogue d’esthétiques s’installe sur la scène internationale durant les années à venir, porté par des grands noms comme Georges Balanchine, Martha Graham, Agnès de Mille, Gene Kelly, Bob Fosse ou Maurice Béjart pour ne citer qu’eux.

D’apparence plutôt frivole, ce genre filmique américain ne demeure pas moins un pan important de l’histoire du cinéma jusque dans les années 1950. Il continue d’influencer le reste du monde, aboutissant à des adaptations, des dérivés aux contenus différents qui ne cessent d’être créés encore de nos jours.

Sous les traits de Ryan Gosling (qui en serait également le réalisateur et le producteur aux côtés de Marc Platt pour les studios Warner Bros), Busby Berkeley s’apprêterait donc à renaître d’après les pages du livre de Jeffrey Spivak, « Buzz: The Life und Art of Busby Berkeley ». On devine dès lors une comédie musicale au parfum euphorique enivrant sur fond de notes plus sombres de la personnalité tourmentée de son protagoniste.

Parfaitement crédible dans l’atmosphère noire des années 1940 au sein du film Ganster squad (2013) de Ruben Fleischer, il ne fait aucun doute que le regard impassible de Ryan Gosling saura redonner vie à celui du plus grand cinéaste de l’âge d’or hollywoodien…
Charlotte Dronier

Visuel : © Georges Biard

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Charlotte Dronier
Diplomée d'un Master en Culture et Médias, ses activités professionnelles à Paris ont pour coeur la rédaction, la médiation et la communication. Ses mémoires ayant questionné la critique d'art au sein de la presse actuelle puis le mouvement chorégraphique à l'écran, Charlotte débute une thèse à Montréal à partir de janvier 2016. Elle porte sur l'aura de la présence d'un corps qui danse à l'ère du numérique, avec tous les enjeux intermédiatiques et la promesse d'ubiquité impliqués. Collaboratrice d'artistes en freelance et membre de l'équipe du festival Air d'Islande de 2009 à 2012, elle intègre Toutelaculture.com en 2011. Privilégiant la forme des articles de fond, Charlotte souhaite suggérer des clefs de compréhension aux lecteurs afin qu'ils puissent découvrir ses thèmes et artistes de prédilection au delà de leurs actualités culturelles.

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