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L’étonnant nouvel opus de Radu Jude : Do Not Expect Too Much From the End of the World

L’étonnant nouvel opus de Radu Jude : Do Not Expect Too Much From the End of the World

24 July 2023 | PAR Nicole Gabriel

Le dernier film du Roumain Radu Jude est un très long métrage (de 163 minutes). Son titre percutant emprunte un aphorisme au poète polonais Stanislas Jerzy Lec. L’œuvre se divise en deux parties distinctes et, comme les précédentes, fusionne les genres, en l’occurrence la comédie rocambolesque, le documentaire sur le vif, le road movie urbain. Ce qui frappe le plus, c’est son rythme effréné, son refus du bon goût, sa mise en scène à l’amateurisme revendiqué, donc feint, les effets de collage, de montage cut, les citations en veux-tu en voilà, le coq-à-l’âne systémique.

Bucarest hic et nunc

Radu Jude ancre son récit dans la réalité hic et nunc. En une première partie, nous suivons, dès l’aube puis dans sa journée de travail, Angela, une assistante de production. Affrontant le tintamarre de la ville, une circulation insensée, elle sillonne Bucarest dans son van, échangeant avec les autres automobilistes force gestes et mots obscènes. C’est une petite guerre de tous contre tous. Angela est toujours photographiée au volant, de profil, mâchant du chewing-gum, la radio à plein volume. Elle s’arrête – petit intermède macabre – pour négocier la concession de la tombe de sa mère au cimetière, puis arrive à destination, chez une vieille dame, parente d’un ouvrier à demi paralysé suite à un accident du travail. Elle le recrute pour jouer dans un tuto sur les questions de sécurité au travail que lui a commandé une multinationale.

Alors que toutes les scènes du début sont étalonnées en un noir et blanc crasseux, l’image se teinte graduellement, le récit principal se fondant et s’enchaînant à une séquence d’un autre film, Angela Goes On (1981) de Lucian Bratu. Radu Jude propose un nouveau type de flashback, qui vire de la valeur à la couleur – une couleur défraîchie comme celle des films trouvés dans un vide-grenier. Ce film des années 80 avait pour vedette la comédienne Dorina Lazar (qui portait le prénom d’Angela) laquelle, dans le long métrage de Radu Jude, incarne la vieille dame. Si bien que celle-ci est confrontée à son double par cette mise en abyme cinématographique. Les deux Angela se découvrent des points communs. En particulier, leur connaissance de la ville à travers les virées en voiture, de jour comme de nuit.

Presto presto

Après ce dialogue nostalgique, le film reprend son tempo frénétique. La jeune Angela s’accorde un cinq à sept avec son petit ami dans son véhicule. Elle accueille à l’aéroport la commanditaire de son film d’entreprise, une Autrichienne très élégante nommée… Goethe et interprétée par Nina Hoss, l’égérie de la Nouvelle vague allemande. Celle-ci détonne dans le tableau bucarestois. Il faut dire que Jude aime désorienter son spectateur. Il parsème son récit d’inserts piochés ici et là sur le web. Apparaît, entre autres, cadré en très gros plan, le cinéaste de série Z, Uwe Boll, passé du jeu vidéo au nanar, qui ponctue l’écoulement de “Fuck You” tonitruants. Jude cite aussi au passage… Charlie Hebdo. La seconde partie est consacrée au tournage du clip sur la sécurité au travail ayant pour personnages principaux ceux de l’entourage de l’autre Angela. Dès lors, Do Not Expect Too Much prend l’allure et le grotesque d’Hellzapoppin’ (1941).

L’humour noir résulte du choc entre le réel et sa mise en scène trompeuse. Le malheureux handicapé se doit de jouer un rôle fictif qui va à l’encontre de son propre intérêt. Aussi farcesque et grinçant que Bad Luck Banging or Loony Porn, (2021), Do Not Expect Too Much constate les ravages de l’économie capitaliste dans les ex-pays de l’est et leurs effets sur les rapports humains. Cette dénonciation se fait sans pathos, par l’exagération du trait et par la force du rire. Radu Jude se veut dans la tradition d’un Eisenstein, grand admirateur d’Honoré Daumier, pour qui la caricature était un “cri du peuple”. Le cinéaste roumain se réclame lui aussi de l’illustre illustrateur. Il lui a d’ailleurs consacré le court métrage Caricaturana (2021), considérant que cette forme d’art populaire était et reste plus apte à témoigner du réel que la photographie. Comme les tenants de l’avant-garde des années vingt, il demeure convaincu qu’une des fonctions du 7e Art est provoquer la société. Non de l’endormir.

Visuel : scène de Do Not Expect Too Much From the End of the World

Le film est présenté en première mondiale le 4 août 2023 au festival de Locarno sous son titre original, Nu astepta prea mult de la sfâsitul lumii.

 
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Nicole Gabriel

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