
Les Oscars de 2017, la fin de la suprématie blanche ?
Les Oscars ont créé la surprise, La La Land, le film calibré pour tout rafler s’est fait devancer. Le jury a décidé de récompenser des films plus courageux, en particulier Moonlight, sacré “Meilleur film”. Il parle d’homosexualité dans les quartiers noirs de Miami : un sujet pour le moins rarement traité.
Moonlight, le film de Barry Jenkins, nommé huit fois, a été oscarisé dans six catégories, dont celle du meilleur film mais aussi du meilleur scénario original. Ce film est très émouvant et bénéficie d’une remarquable direction d’acteurs. Maershala Ali, oscarisé meilleur second rôle masculin, se révèle particulièrement juste dans son jeu et Andre Holland frappe par son interprétation d’un homme gay afro-américain. Ils rendent palpable la réalité de l’homosexualité quand on vient du ghetto.
Parmi les acteurs et actrices également récompensés lors de cette 89e cérémonie, Viola Davis se trouve lauréate pour le meilleur second rôle dans Fences de Denzel Washington. La “Queen V” est la première femme noire à recevoir trois nominations aux Oscars. Elle a profité de l’occasion pour affirmer dans un discours très applaudi sa volonté que soient – enfin – réalisés des films racontant les histoires de “vrais gens”, pas forcément favorisés, ni successful… ou réalisant leur rêve de vivre dans le milieu du show-business ! Outre la nomination de Davis, sept acteurs issus des minorités, dont six afro-américains ont été sélectionnés cette année, ce qui demeure malheureusement un record mais augure une plus grande diversité des figures mises à l’honneur.
Du côté de la réalisation documentaire Ava DuVernay était nominée pour The 13th, un long-métrage sur les violences judiciaires, policières et économiques perpétrées à l’encontre de la communauté afro-américaine. Elle était en concurrence avec Ezra Edelman qui a en définitive remporté l’Oscar du meilleur documentaire avec O.J. Made in America. Il s’agit pourtant d’une fresque dantesque : un film de près de huit heures traitant du meurtre de la femme du footballeur O.J. Simpson, icône afro-américaine. Le réalisateur a dédié sa statuette “à toutes les victimes de violences policières” et de contrôle au faciès, – discours qui fait écho à celui d’Alice Diop prononcé lors nos Césars. Après la polémique des années précédentes cristallisées autour du hashtag #OscarsSoWhite, le vent semble avoir tourné.
La La Land auquel a été préféré Moonlight pour la même catégorie véhiculait bien quant à lui une certaine idée de la suprématie blanche, de celle prônée par Trump et ses partisans. On a certes pu reprocher au scénario sa platitude mais également une tendance à faire passer les Américains blancs pour les vrais créateurs du jazz, alors que cette musique populaire noire serait restée peu inventive aux mains de ses initiateurs noirs… de là à parler de réappropriation culturelle et de réécriture de l’histoire, il n’y a qu’un pas. Une certaine revanche semble donc prise en faveur d’un cinéma authentique et de qualité, bien loin entre autres des clichés éculés de l’American Way of Life. Le cinéaste, Damien Chazelle avait écrit un scénario similaire pour un court-métrage mettant en scène un Afro-américain et une Latina : Guy and Madeline on a Park Bench. Faire preuve d’un peu d’originalité semble toutefois payer ; à trop vouloir policer son histoire, Chazelle l’a en partie manquée.
Les Oscars et leur retentissement médiatique restent une fois de plus l’occasion pour les Etats-Unis d’affirmer leur hégémonie dans le domaine du cinéma. Cependant, c’est une vision plus recherchée et plus diversifiée de l’Amérique qui semble avoir été retenue.
On ne peut que se féliciter de la mise en lumière exceptionnelle de Moonlight, un film de grande qualité. Ce long-métrage à la fois réaliste et plein d’une poésie brute et sensuelle laisse le spectateur sans voix, riche de la vision inédite de son réalisateur. Après cette 89e cérémonie des Oscars, vous n’avez plus aucune excuse pour ne pas aller le voir, si ce n’est déjà fait !
Visuel : DR