
Le Grand Mouvement, peinture fiévreuse d’une réalité âcre, en Compétition aux Entrevues 2021
Ce film du bolivien Kiro Russo se centre sur la pauvreté à La Paz, et décale subtilement ce qu’il capte jusqu’à en extraire la substance empoisonnée.
La Paz, capitale bolivienne avec ses montagnes, ses téléphériques, son fourmillement, et sa pauvreté : au cœur de ce bouillonnement, Elder essaye de gagner un peu d’argent en travaillant de ses mains. Deux compagnons le soutiennent, tandis qu’une femme âgée qui l’appelle “mon filleul” s’inquiète pour lui. À ces protagonistes s’ajoute Max, sorcier de la montagne encore tout entier imprégné des croyances anciennes. Elder, lui, a marché sept jours pour atteindre La Paz, et a travaillé auparavant en tant que mineur : il est épuisé, et tousse sans cesse. Reste à savoir si la grande ville va pouvoir lui laisser une chance, ou si les remèdes de Max pourront lui apporter de l’aide.
Images granuleuses, protagonistes aux visages dans l’ombre : afin de relater ces destins au cœur de conditions de vie extrêmement dures, la mise en scène du réalisateur Kiro Russo adopte un angle réaliste, assurément. Tout du long, le film montre sans détours le mal que subit l’homme sur lequel il se centre. Mais au fut et à mesure de sa progression, il se permet de figurer certains éléments de façon onirique, osant de soudaines embardées à l’aspect imaginaire : séquence de danse sur musique electro dans une rue misérable la nuit, souvenirs de mine peints en un montage hargneux, jeux sur l’ombre et la lumière…
De tels décalages paraissent, au final, être destinés à traduire l’aspect fiévreux du cadre au sein duquel se déroule le film. Loin d’apparaître superflues ou exagérément noires, ces envolées livrent donc un condensé de l’atmosphère folle qui envahit le personnage central. Une atmosphère traduite via des procédés cinématographiques employés de manière très expressive, jamais gratuite, entraînant le spectateur lui aussi dans un tourbillon abstrait et incertain. Un “grand mouvement” devenu fou.
Pour que ce qu’il peint ne tourne jamais à vide, enfin, le film sait ne pas oublier en route les corps. Ceux de ses excellents interprètes, qu’il suit dans leur lutte pour trouver leur place au sein de cette capitale très inhospitalière : avec ainsi, Elder de plus en plus souffreteux, de plus en plus soumis à des spasmes – choses réellement vécues par celui qui est à l’écran ? – et perdu dans des rues sans espoir, ou à l’inverse Max, qui essaye de ne faire qu’un avec les montagnes entourant La Paz, et prend ses quartiers sous les arbres tombés. Ce dialogue entre corps réels et visions fiévreuses suffit à rendre le film à la fois engagé et ouvert.
Pendant les Entrevues, à Belfort, Le Grand Mouvement – projeté sous la bannière de Survivance, producteur et distributeur de films, qui le sortira dans les salles françaises le 30 mars 2022 – fera l’objet d’une seconde projection, le jeudi 25 novembre à 14h15.
Visuel : affiche du Grand Mouvement