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Julie Viez et Adam Bessa nous parlent d’Harka au Festival International de Saint-Jean de Luz

Julie Viez et Adam Bessa nous parlent d’Harka au Festival International de Saint-Jean de Luz

08 October 2022 | PAR La Rédaction

Harka de Lotfy Natan a été le premier film en compétition projeté dans le cadre du Festival International de Saint-Jean de Luz. Nous avons rencontré la productrice Julie Viez et l’acteur principal de ce chef d’oeuvre, Adam Bessa.

Le film ne dénonce pas, il montre l’impossibilité d’un système, à travers un portrait réaliste de toute une génération, Ali existe partout en Tunisie. Comment est né ce projet ?

(Julie Viez) Ce projet a été déposé aux US. Après un premier développement inapproprié, Lotfy Nathan a repris la main et l’a fait évoluer jusqu’à sa forme actuelle. Au départ il s’agissait d’un biopic sur le jeune homme qui a lancé le printemps arabe par son auto-immolation. Le projet est devenu plus contemporain. L’intérêt a été déplacé sur la jeunesse d’après le printemps arabe.

Avez-vous rencontré des difficultés ? (JV) Oui, un film compliqué à réaliser, qui a demandé un investissement total de la part de l’équipe technique. Mais nous avions à cœur de faire le film le plus beau possible. De plus, nous avons pu nous appuyer sur une équipe locale dédiée, qui s’est très investie en plus de son professionnalisme. Cela nous a permis de surmonter des situations compliquées : sanitaires, politiques, etc…Il faut signaler que c’est le premier film tourné en Tunisie depuis 15 ans. Et précisément dans la ville de Sidi Bouzid marquée par ce drame, qui n’a jamais accueilli d’équipe de cinéma.

Quelle est la première réaction à la lecture d’un scénario pareil ?

(Adam Bessa)
J’ai commencé par me projeter des images, et très vite j’ai oublié l’exercice de lecture. J’étais pris par l’histoire, j’ai été ému. En parlant avec Lotfi, j’ai compris le regard cinématographique qu’il souhaitait porter, loin du documentaire. Le fait de tourner en pellicules, et d’utiliser les codes du cinéma laissait présager un beau film de cinéma, universel.

En tant que tunisien, comment avez-vous vécu ce projet ?

(AB) De façon très émotionnelle. C’est aussi le pays d’une partie de mon enfance. Des « Ali », j’en connais, y compris dans ma famille. J’ai ressenti une grande responsabilité. J’avais envie d’être fidèle et honnête, de les représenter au plus juste et au plus vrai, ne pas tomber dans la caricature ou de ce qu’on s’attend à voir de ce pays. Julie et Lotfy étaient d’accord, on s’est servi de cette énergie.

Quel réalisateur est Lotfy ?

(JV) Comme il a été incompris lors de sa première tentative avec les américains, on a d’abord construit une certaine confiance. Ensuite pendant le tournage, il a communiqué sa nature généreuse en impliquant son équipe de manière très humaine. Au démarrage de la production, tout n’était pas dans le scénario, l’instinctif était très présent. Il savait exactement où il allait. C’est sa vision précise qui a permis de fabriquer le film qu’il avait dans sa tête.

Avant la sortie du film, est-ce important d’être projeté en festival, Cannes puis Saint-Jean de Luz ?

(JV)
C’est très important, d’autant que ce n’est pas un film catégorisé français. Il faut donc créer de la notoriété. Le soutien des festivals est essentiel pour le cinéma d’auteur, en particulier des premiers films. Après ce n’est pas une garantie non plus, le film a sa propre vie.

Adam, vous avez reçu le prix de la meilleure performance dans la catégorie Un Certain Regard à Cannes. Qu’est-ce que cela a changé ?

(AB)Professionnellement, bien sûr c’est un prix prestigieux qui attire l’attention. Personnellement, je l’ai pris comme un prix pour le film, on a tellement partagé avec Lotfy ou Max le Chef opérateur, les idées et les envies concernant les choix à faire sur le tournage. Alors si l’émotion a réussi à passer à l’image c’est le résultat d’un travail d’équipe. Mon objectif c’est que les gens voient le film. Ce qui guide mon travail, c’est le public. Donc oui, c’est encourageant parce qu’on a pris des risques. On dit que le cinéma est en crise, il faut plus que jamais offrir au public un spectacle, une expérience. Ce serait dommage de se limiter au message politique, même si on fait des films aussi pour donner à réfléchir. C’est la responsabilité des artistes de sortir de leur zone de confort, de se transcender.

La corruption est très visible dans le film. De votre point de vue, la situation a-t-elle évoluée en Tunisie ?

Le printemps arabe a précipité la chute du système dictatorial, c’est déjà une grande victoire. Aujourd’hui, il y a un président élu démocratiquement, et une assemblée nationale. Mais le plus difficile, c’est de changer les mœurs. Il faudra du temps pour changer les habitudes ancrées depuis des dizaines d’années. De plus, la situation économique qui dépend beaucoup du tourisme a été malmenée ces dernières années. Oui, il y a des avancées même si la corruption existe toujours, elle tend à disparaître. Tout le monde aspire à reprendre une vie normale, et retrouver la confiance dans les institutions.
(JV) Le film ne dénonce pas la corruption, il la montre. Le point de vue choisi, à travers le regard d’Ali, permet de mettre en évidence un système dans son équilibre. Le destin d’Ali est impossible, mais l’administration et la police sont aussi empêchées. Il était important de rester objectif, de se garder de tous jugements. Le film est réaliste, parce qu’il s’appuie sur un travail de terrain, le personnage d’Ali est inspiré de vraies rencontres. Depuis que le film est montré, notre grand succès à tous, c’est qu’il soit porté par les tunisiens. Au-delà de Cannes, c’est la vraie récompense.

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