Cinema
Ibrahim Maalouf : « Dans la musique de film, nous sommes là pour mettre en évidence une émotion »

Ibrahim Maalouf : « Dans la musique de film, nous sommes là pour mettre en évidence une émotion »

29 May 2021 | PAR Yaël Hirsch

Ibrahim Maalouf est l’invité d’honneur de la 22e édition de Music & Cinema, le Festival International du Film d’Aubagne. Il y rencontre le public le 1er juin à 19h et deux des films dont il a composé la musique y sont projetés. A cette occasion, il nous parle de son travail sur la musique de film.

Le Festival International du Film d’Aubagne va passer cette semaine deux films très différents, Dans les forêts de Sibérie et 9 jours à Raqqa et pourtant, c’est bien vous qui avez composé la musique de ces deux films… C’est vous qui les avez choisis ?
Quand le festival d’Aubagne m’a demandé de choisir deux films, ce n’est pas par hasard si j’ai choisi Dans les forêts de Sibérie et 9 jours à Raqqa. Si l’un est une adaptation de livre et l’autre un documentaire et si les situations sont très différentes, les deux films parlent d’un thème qui me touche profondément : la solitude. Dans les forêts de Sibérie met en scène un personnage interprété par Raphaël Personnaz qui veut tout plaquer pour vivre dans un endroit vierge de toute humanité. La nature y est sauvage et aride et la solitude naît de l’absence de l’humain, même si un glacier en fonte porte un message plus complexe sur l’action de l’homme sur cet environnement. Dans 9 jours à Raqqa, la solitude de l’héroïne vient du fait que sa ville a été ravagée par l’homme ; l’État Islamique et sa défaite y ont laissé un capharnaüm monstrueux… Cette solitude rend les deux héros de ces films, aussi différents soient-ils, terriblement humains. Et c’est fabuleux, en tant que compositeur, de mettre en relief cette émotion.

Aussi différents soient-ils, on reconnait peut-être votre « patte » dans ces deux films avec la trompette…
En effet, dans ces deux films, on entend de la trompette, mais ce n’est pas toujours le cas. La musique de film est un exercice de style intéressant qui pousse à sortir de son confort et à chercher autre chose que ses références naturelles. Il faut communiquer au-delà du langage que je connais et partager une émotion que je découvre…

Vous travaillez donc différemment quand vous composez de la musique de film et un album ?
Quand je compose de la musique de film, je suis là pour mettre en relief émotionnellement un discours et un propos. Après, il peut y avoir des techniques différentes : nous travaillons parfois à partir d’un scénario et parfois à partir d’un montage final mais pour moi, le principal, c’est le discours émotionnel car nous sommes là pour mettre en évidence une émotion qui n’est pas toujours donnée. Parfois, souvent même, c’est le silence qui est la meilleure musique dans un film, mais parfois, il faut également savoir prendre par la main la personne qui regarde le film, pour lui permettre de libérer son émotion…

Le travail sur la musique de film inspire-t-il le reste de votre musique ?
Le cinéma m’inspire tout le temps de nouvelles manières de travailler. Je crois que j’apporte aux films quelque chose de la spontanéité de ma musique live ; mais cela marche dans l’autre sens également : le fait de travailler pour le cinéma m’apprend énormément pour la musique de mes albums.

Ce travail est-il plus facile si vous connaissez bien ou travaillez régulièrement avec un réalisateur ?
Quand les atomes sont crochus, quand les sensibilités sont les mêmes et quand il y a une complicité humaine, il finit par y avoir une complicité artistique. C’est le cas avec Safy Nebbou ou Mohamed Amidi. C’est une aventure qui dépasse le cadre d’un film et qui est très intense.

La musique de film est-elle un aspect moins connu de votre œuvre ?
J’ai plusieurs métiers. Je gagne ma vie comme musicien et producteur de musique. On me demande aussi souvent de faire des musiques de film et l’avantage c’est que mon choix ne se fait pas sur des considérations économiques mais sur l’appréciation du projet et ce qu’il me communique d’émotion… J’ai la chance de choisir les films sur lesquels j’ai envie de travailler.

Le César que vous avez obtenu pour votre travail sur Dans les forêts de Sibérie a-t-il changé des choses ?
Ce m’a donné de la crédibilité dans un milieu que je ne connaissais pas. J’avais envie de faire de la musique de film depuis tout jeune, mais j’avais peur de ne pas être légitime. Je ne voulais pas passer pour une pièce rapportée depuis mes tournées et mes albums. Ce César m’a permis de sentir que ma musique est légitimée comme vraie bonne musique de film.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune compositeur qui commence la musique de film ?
Ce n’est pas évident, je ne suis pas sûr de savoir. Peut-être que le meilleur conseil tient dans un paradoxe : être humble, à l’écoute et oublier son ego, car un film est un bébé que l’on porte à plusieurs, et en même temps, ne pas hésiter à aller puiser en soi pour proposer des choses personnelles. 

visuel : (c)  Yann Orhan

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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