Cinema
[Critique] « Iranien » : conversation fine sur l’espace public d’un pays théocratique

[Critique] « Iranien » : conversation fine sur l’espace public d’un pays théocratique

07 December 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

Mehran Tamadon, iranien athée et pour la laïcité, reçoit chez lui quatre prêtres. Afin de confronter leurs idées aux siennes. Résultat : un film de parole libre, très agréable à suivre.

[rating=4]

Iranien
Après avoir grandi en France, Mehran Tamadon a vécu quatre ans en Iran, où il a étudié, travaillé comme architecte, puis comme artiste contemporain. Désormais installé en France, il signe aujourd’hui son deuxième long-métrage documentaire. Athée et pour la laïcité, il a convaincu quatre prêtres iraniens de venir habiter chez lui, un peu à l’écart de Téhéran, pendant deux jours, afin de discuter de l’espace public. Sa proposition : « j’ai un projet pour voir dans quelle mesure des religieux comme vous, et moi qui suis différent de vous, pouvons partager un espace commun. Votre parole sera respectée. » Face à lui, donc, quatre prêtres issus de l’école religieuse de la ville de Qom. Certains sont venus avec leur femme, et leurs enfants.

Assis dans son salon, Mehran Tamadon avance ses arguments, et confronte sa pensée à celle de ses interlocuteurs. Et on assiste à un vrai « débat d’idées », dans un environnement détendu. « En voulant la laïcité à tout prix, tu veux toi aussi imposer un système » ; « C’est le peuple qui a voté pour la République islamique en 1979 », « Oui, mais nous sommes trente-cinq ans plus tard » répond Mehran Tamadon ; « Dans l’espace public iranien, les femmes veulent pouvoir choisir de porter le voile ou non », « Mais l’homme n’est pas prêt, il se laisse trop facilement exciter », répond l’un des interlocuteurs… Viendra bientôt la tentative d’édification d’un « espace public commun aux deux parties », à l’intérieur du salon.

Parmi ces invités, chacun a sa personnalité : l’un, assez âgé, parle beaucoup, et expose ses idées avec force ; un autre, plus posé, consulte Internet à un moment pour vérifier un principe ; un autre encore paraît jeune, est peut-être en formation. Mehran Tamadon les considère, les laisse parler, le temps de longues scènes, et répondre à ses idées à lui. Il le dit : ses images ont pour but de « rendre la parole possible ». Son objectif est atteint. Grâce à la distance. Celle qui « permet […] de se rendre compte de ce qu’il y a de commun et de fondamentalement différent » entre les deux parties. Ensuite, au spectateur de « s’approprier le film, les propos qu’il entend, en fonction de son histoire, de sa sensibilité, de son tempérament ».

Dommage qu’il n’explicite pas l’origine sociale des quatre hommes qu’il a convoqués, ainsi que leurs fonctions exactes. Mais son film, en plus de laisser couler la parole, présente de vraies qualités cinématographiques. Un découpage qui a su donner du rythme à la conversation ; de l’humour, dû à la maîtrise de la rhétorique des quatre interlocuteurs : lors de la tentative de construction d’un espace commun, lorsque M. Tamadon dispose des objets, et demande si « les portraits de Khomeini et de Khamenei [Guides successifs de la révolution islamique en Iran] ne sont pas trop présents », l’un des prêtres répond : « Si, mais c’est toi qui les a disposés »… Un film ouvert, donc, et agréable, en prime, qui cherche à comprendre, et s’interroge pour trouver des solutions.

Visuels : © L’Atelier Documentaire / Box Productions

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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