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[Critique] « Iranien » : conversation fine sur l’espace public d’un pays théocratique
Mehran Tamadon, iranien athée et pour la laïcité, reçoit chez lui quatre prêtres. Afin de confronter leurs idées aux siennes. Résultat : un film de parole libre, très agréable à suivre.
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Après avoir grandi en France, Mehran Tamadon a vécu quatre ans en Iran, où il a étudié, travaillé comme architecte, puis comme artiste contemporain. Désormais installé en France, il signe aujourd’hui son deuxième long-métrage documentaire. Athée et pour la laïcité, il a convaincu quatre prêtres iraniens de venir habiter chez lui, un peu à l’écart de Téhéran, pendant deux jours, afin de discuter de l’espace public. Sa proposition : « j’ai un projet pour voir dans quelle mesure des religieux comme vous, et moi qui suis différent de vous, pouvons partager un espace commun. Votre parole sera respectée. » Face à lui, donc, quatre prêtres issus de l’école religieuse de la ville de Qom. Certains sont venus avec leur femme, et leurs enfants.
Assis dans son salon, Mehran Tamadon avance ses arguments, et confronte sa pensée à celle de ses interlocuteurs. Et on assiste à un vrai « débat d’idées », dans un environnement détendu. « En voulant la laïcité à tout prix, tu veux toi aussi imposer un système » ; « C’est le peuple qui a voté pour la République islamique en 1979 », « Oui, mais nous sommes trente-cinq ans plus tard » répond Mehran Tamadon ; « Dans l’espace public iranien, les femmes veulent pouvoir choisir de porter le voile ou non », « Mais l’homme n’est pas prêt, il se laisse trop facilement exciter », répond l’un des interlocuteurs… Viendra bientôt la tentative d’édification d’un « espace public commun aux deux parties », à l’intérieur du salon.
Parmi ces invités, chacun a sa personnalité : l’un, assez âgé, parle beaucoup, et expose ses idées avec force ; un autre, plus posé, consulte Internet à un moment pour vérifier un principe ; un autre encore paraît jeune, est peut-être en formation. Mehran Tamadon les considère, les laisse parler, le temps de longues scènes, et répondre à ses idées à lui. Il le dit : ses images ont pour but de « rendre la parole possible ». Son objectif est atteint. Grâce à la distance. Celle qui « permet […] de se rendre compte de ce qu’il y a de commun et de fondamentalement différent » entre les deux parties. Ensuite, au spectateur de « s’approprier le film, les propos qu’il entend, en fonction de son histoire, de sa sensibilité, de son tempérament ».
Dommage qu’il n’explicite pas l’origine sociale des quatre hommes qu’il a convoqués, ainsi que leurs fonctions exactes. Mais son film, en plus de laisser couler la parole, présente de vraies qualités cinématographiques. Un découpage qui a su donner du rythme à la conversation ; de l’humour, dû à la maîtrise de la rhétorique des quatre interlocuteurs : lors de la tentative de construction d’un espace commun, lorsque M. Tamadon dispose des objets, et demande si « les portraits de Khomeini et de Khamenei [Guides successifs de la révolution islamique en Iran] ne sont pas trop présents », l’un des prêtres répond : « Si, mais c’est toi qui les a disposés »… Un film ouvert, donc, et agréable, en prime, qui cherche à comprendre, et s’interroge pour trouver des solutions.
Visuels : © L’Atelier Documentaire / Box Productions