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[Cannes 2021, Un Certain regard] Et il y eut un matin, d’Eran Kolirin

[Cannes 2021, Un Certain regard] Et il y eut un matin, d’Eran Kolirin

11 July 2021 | PAR Yaël Hirsch

Présenté dans la section Un certain regard, en l’absence des acteurs qui n’ont pas eu le droit de voyager avec le réalisateur Eran Kolirin, Et il y eut un matin (Vayehi Boker) adapte le livre du grand Sayed Kashua. Le résultat est une fable terrible qui fait le point sur la situation des Palestiniens et Arabes israéliens à travers l’image forte d’un village fermé comme une prison.

Une famille d’Arabes israéliens coincés dans leur village d’origine

Sami (Alex Bakri), Mira (Juna Suleiman) et leur fils Adam sont des Arabes israéliens exemplaires, lui est un haut cadre d’une boîte ; ils vivent à Jérusalem et ils sont un modèle d’intégration en Israël. Ils reviennent au village pour assister au mariage du petit frère de Sami. Un village où le père, plutôt aisé, est en train de leur faire construire une maison, pour ramener tous les siens autour de lui. Mais pendant la nuit, sans aucune explication, le village est encerclé par l’armée israélienne et il est mis sous scellés : un mur fermé, un checkpoint, et les ondes téléphoniques ne passent plus. La population panique d’autant plus que même les vivres ne passent pas, mais chacun reste dans l’expectative et s’arrête de vivre en se disant que cela va passer. Sami ne peut pas prévenir ses patrons de ce qu’il se passe… Et il retrouve Abed (Ehab Elias Salami), un ami d’enfance dont il avait un peu honte et qui est chauffeur de taxi commun (une douzaine de places). Ils font des circuits nocturnes en mettant Chandelier de Sia à fond… et sur un mot ironique de Sami, décident d’organiser une manifestation pour protester contre l’arbitraire de cette séquestration.

Désenchantés…

Eran Kolirin – à qui l’on doit La visite de la fanfare – signe un nouveau film qui, par son scénario même, marque un moment de bilan. Querelles internes, manque de vision et donc de courage, les habitants prisonniers de ce village sont désenchantés et paralysés. Sans aucune perspective, la vie meurt, y compris chez le petit Adam, qui est un personnage que le réalisateur ne développe pas. Chacun se noie dans ses petits problèmes, surtout Sami qui en profite pour faire le bilan de son couple avec la belle Mira, pour réaliser que “parvenu” au prix d’une rupture avec les siens, il est ramené au statut de parvenu dans un milieu où on le respecte mais aussi où on lui en veut d’avoir déserté. L’atmosphère est donc plantée, les acteurs, notamment Alex Bakri et Juna Suleiman, sont d’une beauté saisissante, mais les anecdotes se multiplient, les images s’accumulent un peu gratuitement (trois scènes de musique/danse expiatoires) et on a du mal à avoir des sentiments profonds pour les personnages. Les petits problèmes juxtaposés ne créent pas une cause, c’est le fond du message, mais à force de nous les égrener sans les lier, la catharsis ne fonctionne pas. Même le plus abouti et touchant d’entre eux, Abed, est laissé de côté pour un portrait de groupe avec plein de visages inconnus. On sort du film avec l’impression d’un constat implacable et c’est probablement déjà un choc précieux, mais aussi le sentiment d’un rendez-vous manqué.

Et il y eut un matin, d’Eran Kolirin, avec Alex Bakri, Juna Suleiman, Salim Daw, Ehab Elias Salami, Khalifa Natour, Izabel Ramadan, Samer Bisharat, Doraid Liddawi, Yara Jarrar, Israël/ France, 1h41, 2021.

visuel : Pyramide Films 

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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