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(Berlinale) “The first 54 years” d’Avi Mograbi & dialogue avec Jean-Michel Frodon et Serge Lalou

(Berlinale) “The first 54 years” d’Avi Mograbi & dialogue avec Jean-Michel Frodon et Serge Lalou

03 March 2021 | PAR Yaël Hirsch

Présenté dans la section Forum de la Berlinale, le nouveau film du réalisateur israélien Avi Mograbi s’intitule avec ironie “The 54 first years”. C’est un documentaire sur l’occupation israélienne des territoires à Gaza et en Cisjordanie qui analyse cette “plus longue occupation”de l’histoire” pour fournir un manuel de toutes les occupations. Toujours aussi engagée et critique du sionisme, le réalisateur répondait aux questions du critiques Jean-Michel Frodon (Projection Publique) et du producteur Serge Lalou (les films d’ici) sur la plateforme d’Unifrance, ce mardi 2 mars au coeur de la Berlinale. 

Pour lire notre interview d’Avi Mograbi en 2013, c’est ici.

Manuel abrégé d’occupation à la Berlinale

Sous-titré “Un manuel abrégé de l’occupation militaire”, le  nouveau documentaire d’Avi Mograbi est proposé, comme d’habitude du point de vue son réalisateur. Cheveux blanc et plus engagé que jamais, armé d’ironie mais surtout d’une féroce envie de faire connaître les faits depuis 1967, Avi Mograbi se propose, dans un anglais parfait d’avant la déclaration Balfour, livre blanc à la main de faire le livre de théorie de guerre ultime de l’occupation militaire à partir de ce qu’il décrit comme sa  plus longue occurence jusqu’ici dans l’histoire : celle d’Israël sur les territoires de la bande de Gaza et de Cisjordanie. Avec des cartes, des faits clairs expliqués, des images d’archives et surtout les archives de l’association de l’ONG “Breaking the Silence”qui depuis 2004 et la deuxième Intifada recueille des témoignages de soldats israéliens qui ont opéré dans ces territoires occupés… Le tout  forme un long métrage ou deux épisodes de 50 minutes où l’on change de perspective sur ces territoires qui ont été si souvent au coeur des informations ces 54 premières années… 

Un documentaire partisan

Le projet est évidemment partisan. Avi Mograbi est engagé contre le sionisme depuis son refus  d’incorporation lors de la guerre du Liban de 1982 et ses premiers films, notamment Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon (1996) ou Août avant explosion,  prix de la Paix à Berlin, qui montre la violence quotidienne en Israël. Mais d’une part, il est aussi pour  un dialogue (on le voir bien dans Dans un Jardin je suis entré, 2013, lire notre critique.) Et pour une paix qu’il estime désormais impossible : lors du dialogue à trois voix avec les deux hommes de cinéma français, pour répondre à la question de l’ironie dans l’oeuvre posée par Jean-Michel Frodon, il dit : “J’aurais  aimé pouvoir appeler le film les derniers 54 ans et pas les premiers 54 ans… Je préférerais qu’on ne parle pas d’une 55e année”. L’espoir lui semblerait préférable à l’ironie mais il n’y en pas trop : “Une des choses les plus tristes sur cette occupation, c’est qu’elle sert l’objectif d’Israël de prendre les territoires occupés, mais sans se préoccuper des populations . Il n’y a pas d’intérêt pour Israël de travailler à la fin de l”occupation”.  Et d’autre part, Serge Lalou a avancé l’idée importante qu’un tel film ne joue pas le même rôle en Israël, et à l’international, où, étant une oeuvre coproduite, il doit peut-être venir avec des explications. 

L’occupation sous un nouvel éclairage

Et le film est brillamment partisan. D’abord parce que le réalisateur arrive à nous faire réfléchir en moquant et pulvérisant la notion d’objectivité. Il est au centre, il dit je, il refuse de parler la langue maternelle et en même temps il se présente comme un sage, sagement cadré, qui va livrer une théorie générale de l’occupation, et en même temps il parle avec passion d’une situation qui l’horrifie et nous obsède tous depuis plus de cinquante ans. The first 54 years est réellement et profondément documenté mais en même temps complètement engagé. En ne prenant que les témoignages, non pas des victimes, mais de soldats israéliens qui ont agi en réponse à des ordres et qui sont pour la plupart traumatisés, il fait un portrait sur la longueur (il a expliqué que les plus jeunes vétérans ont 30 ans et le plus vieux avait dépassé les 90 ans et est mort il y a quelques mois) d’une violence quotidienne. Comme le note Jean-Michel Frodon : “Nous avons l’habitude de voir des images sur les excès de l’occupation aux nouvelles, mais le film donne la parole à une violence moyenne et continue” sur l’occupation. Et nous de noter avec le critique, qu’en effet la situation nous apparaît sous un nouveau jour, avec une ombre, une peur, un poids continus, sans même que les victimes ou les grands responsables (les décisionnaires politiques israéliens) ne parlent. Une immersion en profondeur qui ne laisse pas indemne et qui amène à partager la douleur, la colère et peut-être même le besoin d’ironie du réalisateur. 

Les 54 premières années, Un manuel abrégé de l’occupation militaire, d’Avi Mograbi, 2X52’ & 110’ – France, Finland, Israël, Germany – 2021. Berlinale. 71e Forum.

visuel : (c) Avi Mograbi

 

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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