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Amore Mio ou l’insolence d’aimer de Guillaume Gouix

Amore Mio ou l’insolence d’aimer de Guillaume Gouix

27 January 2023 | PAR Jane Sebbar

Vous est-il déjà arrivé d’avoir envie de dire merde à tout le monde, et de fuir votre vie le plus loin possible ? Amore Mio, le premier film de Guillaume Gouix, qui sort en salle le 1er février, vous donne l’opportunité d’explorer l’insolence qu’on réprime d’habitude, mais qu’on rêve tous de faire sortir de nous, ne serait-ce que l’espace d’un instant.

Ses cheveux sont roses fluo. Des tatouages pigmentent ses bras nus. Elle porte un t-shirt débraillé. Lola danse au soleil. Raphaël la filme avec son portable. « I follow your light ». Suzanna de Coming Soon à fond sur les enceintes. Ici, on vit d’amour et d’eau fraiche. On rit. On danse. On s’embrasse. Mais la musique s’arrête. Et l’instant lumineux n’est plus qu’un souvenir stocké sur un téléphone portable. 

« L’amour ça devrait partir avec les gens. 

– Je sais pas, c’est peut-être sublime si ça reste. »

Raphaël est mort. C’est fini. Et pourtant Lola continue de l’aimer. Se débattre avec les sept étapes inexorables du deuil. Continuer à aimer les gens qu’on aime, malgré les évènements inattendus, malgré les accidents malheureux, malgré les aléas de la vie. C’est de cela que parle Amore Mio. 

« Des gens qui chient sur le bureau du patron » (Guillaume Gouix) 

L’anticonformisme des personnages transparait tout au long du film qui se révèle être un road trip improvisé. A commencer par Lola. Elle refuse d’endosser le rôle conventionnel de la femme endeuillée. Elle refuse d’assister à l’enterrement de son mari. Elle préfère s’enfuir avec sa soeur Margaux à qui elle ne parle plus depuis des années. 

L’habitacle de la voiture devient un laboratoire d’expérimentation où chacun se retrouve coincé avec ses propres démons et doit réapprendre à connaitre ses compagnons de voyage. 

On a la chauffeuse attitrée : la mystérieuse Margaux, campée par la magnifique Elodie Bouchez qui surprend par toute la froideur et le sarcasme qu’elle est capable d’injecter dans son jeu. On a l’électron libre revendiqué : l’insolente Lola, interprétée par Alysson Paradis qui transperce l’écran. On a enfin le passager de la banquette arrière : le silencieux Gaspard, l’enfant qu’on oublie parfois, que le jeune Viggo Ferreira-Redier réussit à incarner avec une justesse déconcertante. 

L’insolence

Faire un film insolent, telle est l’ambition de Guillaume Gouix, qu’on avait l’habitude de voir à l’écran mais qui, cette fois, a décidé de passer de l’autre côté de la caméra. On peut dire que c’est réussi. On se baigne dans un lac interdit au public. On se met à poil au milieu d’un supermarché. On mange des cochonneries à longueur de journée. On compare la longueur du sexe de Gaspard à celui de son père. On dit des gros mots partout et tout le temps. L’insolence du geste-même de ne pas faire ce que l’on attend de nous structure le film. 

Et c’est cette insolence qui sublime l’amour perdu, l’amour retrouvé et l’amour de vivre qui jaillissent tout au long d’Amore Mio. Guillaume Gouix accorde une place très spéciale à la grossièreté. Il y a cette scène durant laquelle Margaux demande à Gaspard de lui dire à l’oreille tous les gros mots qui lui viennent en tête. Il y a ces « Je t’emmerde » qui reviennent régulièrement et qui finissent par sonner comme des « Je t’aime ». Parce que le génie de Guillaume Gouix réside précisément dans sa capacité à transformer la grossièreté du monde en poésie de vie. Une poésie qui sonne vrai. Une poésie qui sonne juste. 

« L’amour ça devrait partir avec les gens » (Lola) 

Le deuil n’est que le point de départ de cette aventure. Amore Mio retrace surtout le processus de reconstruction de Lola au travers de ses retrouvailles avec Margaux. Le motif sororal est au coeur du travail de Guillaume Gouix. Les deux soeurs se sont progressivement éloignées. Lola, libre et incandescente, ne comprend pas pourquoi sa soeur ne vient plus la voir. Margaux, qui se noie dans le travail et s’étourdie dans les habitudes, n’arrive pas à se confier à sa soeur qui semble mener une vie parfaite. 

Lorsque Lola décide de s’enfuir avec Margaux, les deux soeurs ne se connaissent plus ; elles doivent réapprendre à communiquer. C’est une seconde nouvelle rencontre. L’authenticité de la (re)découverte ne pouvait être mieux restituée par le duo électrique qu’incarnent Alysson Paradis et Élodie Bouchez qui jouent ensemble pour la première fois. 

Si Guillaume Gouix ne laisse que peu de place à l’improvisation des mots, il explore ce qu’il appelle « l’improvisation des sentiments ». Tout comme Alysson Paradis et Elodie Bouchez s’appréhendent mutuellement pour créer du lien sur le tournage, Lola et Margaux se redécouvrent et tentent de retrouver des moments de complicité. « Laisser venir ce qui allait se passer entre elles, et essayer de capter cela, la recherche d’une liberté de ton » telle est l’ambition de Guillaume Gouix. 

Un lien sororal, que l’écoulement du temps a longtemps fait vaciller sans jamais réussir à le détruire, et qui en ressort d’autant plus sublimé. Car Lola et Margaux se retrouvent. Malgré les non-dits accumulés, malgré les ressentiments cachés, malgré les confrontations électriques, Lola et Margaux se retrouvent. Lorsqu’elles prennent un bain ensemble ou qu’elles plaisantent sur la taille d’un sexe, lorsqu’elles racontent des histoires ou qu’elles tombent dans la boue. Une sorte de réminiscence de l’enfance, cette époque où tout était possible, où rien n’avait d’importance, où la mort et l’oubli n’existaient pas encore. Progressivement, Lola et Margaux vont apprendre à s’aimer en tant qu’adultes, à se construire et se reconstruire au présent. 

« Est-ce qu’on est toujours une famille ? » (Gaspard) 

Au sein de ce duo sororal incandescent, il y en a un qui peine à trouver sa place. Gaspard, qui est trop petit pour protester contre les choix de sa mère, qui ressemble trop à son père pour que Lola daigne le regarder, qui cherche désespérément l’attention de la dernière famille qu’il lui reste.

« Maman, je peux te poser une question ? Est-ce qu’on est toujours une famille ? Je veux dire quand on n’est plus que deux ».

Au milieu des enchainements de séquences filmées en caméra épaule qui suit le mouvement effréné des deux soeurs, s’insinuent des séquences filmées au téléphone portable. Il s’agit du téléphone de Raphaël, et c’est Gaspard qui l’a récupéré. Ce téléphone portable, c’est la manière qu’a trouvé Gaspard pour ne pas qu’on l’oublie. C’est son point de vue à lui. Des courts instants de tendresse jaillissent tout au long du film, durant lesquels Gaspard zoome sur le visage de sa mère et tente d’y trouver des réponses.

Si le deuil est le point de départ d’Amore Mio, son point d’arrivée ne peut être que la vie. Les trois personnages se battent avec leurs démons respectifs pour rester du côté des vivants. « Moi, je suis un optimiste » disait Guillaume Gouix dans un interview. Et bien, Lola, Margaux et Gaspard le sont aussi. Les couleurs pop de Noé Bach, la musique gaie, parfois lyrique d’Alban Claudin, prennent le contrepied de la dimension morbide dans laquelle le film réussit à ne jamais tomber.

Les trois personnages en perte de repères suivent la lumière comme dans la chanson Suzanna de Coming Soon. Une lumière qui a comme un parfum d’Italie et d’algues noires … 

« Un film sur les personnages » (Guillaume Gouix) 

Guillaume Gouix joue avec les codes du road movie, comme il joue avec les formats d’images et les gros mots. On retrouve le motif traditionnel du motel et de la station service. Mais il y a aussi ce retour en ville qui marque une rupture dans la virée improvisée des trois aventuriers déboussolés. Il y a surtout ce format 3/4 qui ressert l’objectif sur les personnages. On ne voit jamais d’horizons scintillants ou de paysages escarpés. L’expérience cinématographique n’est pas géographique, elle est entièrement psychologique. Les perspectives que nous explorons, ce sont les éclats flamboyants des regards, les reliefs escarpés des visages et les collines asséchées des coeurs. 

En se référant à l’oeuvre de Claude Sautet ou à celle de John Cassavetes, Guillaume Gouix s’inscrit dans l’héritage des films de personnages. Si les comédiens ont presque oublié la présence du chef opérateur qui pourtant leur colle à la peau, ce n’est pas anodin. Pour introduire le spectateur dans l’intimité presque étouffante du trio vagabond, l’équipe technique devait être au plus près des acteurs. Une ébullition organique réussit alors à s’opérer, nous laissant entrer à l’intérieur de l’habitacle de la voiture, nous immergeant dans l’électricité ambiante et la tendresse furtive qui s’insinuent entre Lola, Margaux et Gaspard. 

Si le film se concentre presque exclusivement sur le trio vagabond, les trois protagonistes nous échappent cependant. Pourquoi les deux soeurs se sont-elles éloignées ? Que font-elles exactement dans la vie ? Quels rapports entretiennent-elles avec leur mère ? Où diable se trouve leur père ? 

Cette esquisse familiale inachevée fait toute la beauté du film. On ne peut pas avoir toutes les réponses. Il n’est pas nécessaire de tout révéler. Parfois, il n’y a aucune véritable explication. Parfois, il n’y a rien, il y a juste la vie. 

 

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