
“La passagère” d’Andrzej Munk, un film terrible sur la confession et l’oubli

Voici un film à la douceur trompeuse. Sur un paquebot de luxe, coupé du temps, une jolie jeune femme confie soudain à son mari avoir été, dans le passé, surveillante d’un camp nazi. Quel poids prennent les mots qui glissent ainsi entre deux rives ?
Une confession à laquelle une jeune femme se livre, l’air de rien, en passant. Frappée par le visage d’une autre passagère, Liza croit reconnaître une ancienne prisonnière dont elle avait la garde. Sans l’avoir prémédité, elle raconte alors à son mari ce qu’elle veut bien lui dire.
La construction du film repose sur la tension entre ce qui reste et l’oubli : Nous n’entendons pas la réaction du mari, nous voyons seulement quelques instantanés figés où son visage semble surpris, grave, tandis que celui de Liza se contracte ou sourit. De ce film, d’ailleurs, que reste-t-il ? Le réalisateur, Andrzej Munk est mort dans un accident de voiture en 1961. Le film, retissé, sort en 1964. Les ombres imprègnent le film jusque dans sa composition, puisque les intentions du cinéaste, elles-mêmes, ont glissé de l’autre côté.
Dans un documentaire consacré à La passagère, Roman Polanski évoque ses souvenirs d’Andrzej Munk, sérieux en apparence mais très surprenant et drôle. Dans La passagère, la cruauté survient par touches, sous une couche de bienveillance pleine de désir trouble. Car Liza éprouve pour sa prisonnière Anna, dont l’amoureux se trouve aussi au camp, un sentiment d’envie très fort : “Elle avait ce que je ne pouvais avoir. Elle n’avait que faire de ma bienveillance.” Dès lors, inventer des supplices est aisé : “Quand on sait ce que quelqu’un convoite, on peut le lui reprendre ou le lui donner et on devient alors son maître.”, “comme un bonbon à une petite fille sage“, avoue tranquillement la geôlière. Visage harmonieux mais assez dur, légèrement asymétrique, Liza impose dans le camp sa présence officielle, incontournable, avec cette excuse si facile “Je ne faisais que mon devoir“. Face à elle, la jeune Anna, “avait quelque chose de frêle et d’enfantin qui éveillait ma compassion” reconnaît Liza, en passant.
Ce récit nous atteint par bribes, par vagues, où le souvenir et sa reconstruction s’entrechoquent sur des eaux qui sont peut-être celles du Léthé.
La passagère (Pasazerska), d’Andrzej Munk , Pologne, 1964, 1h02, avec Anna Ciepielewska, Aleksandra Slaska, Jan Kreczmar, Marek Walczewski, Malavida films, sortie en salles le 25 janvier 2023.
visuels: photo officielle du film.