
Almodóvar fait de Tilda Swinton sa tonitruante Voix humaine
Le roi du drama espagnol met en pellicule l’un des chefs-d’œuvre de Cocteau, La voix humaine. Depuis presque un siècle, l’histoire est la même : les filles pleurent au bout du fil, même sans fil, sauf que quand la fille est Tilda Swinton, sa colère n’est pas exactement feutrée.
Depuis 1929, c’est toujours la même histoire. Celle d’une fille qui fait ce que toutes les filles font depuis que le téléphone existe : attendre qu’il décroche. Mais chez Pedro, un peu de modernité ! Elle n’appelle pas, elle attend. N’est-ce pas pire ? Elle attend depuis trois jours. Au troisième jour, il appelle. On ne l’entend pas, jamais, tout ce qu’on entend c’est sa litanie à elle, sa douleur béante à elle, sa douleur qui frise la folie et sera libéré par la vengeance pure.
Histoire éternelle peut être, mais qui dans l’œil de Pedro Almodóvar se place à la fois aujourd’hui et dans une totale fiction. Il place son héroïne sur un plateau de tournage. Il ose un prologue comme à l’opéra où sans parole on passe de la gloire au drame, du rouge au noir, dans deux robes spectaculaires, dont la première est à crinoline. Marie Stuart n’est pas loin, le baroque est bien présent. On retrouve dans cette Voix humaine la même palette et presque le même décor que dans Dolor y Gloria. Un bel appartement bien sûr où le mauvais gout tape à la porte : ultra orange, ultra vert, peintures kitschs. On y est : dans le trop, dans le débordement. La musique est signée par le fidèle compagnon de route du cinéaste, Alberto Iglesias qui balance tous les violons possibles pour ajouter du malheur au malheur, du drama au drama. On adore !
Dans la forme même, aucun choix n’est fait, les limites entre le théâtre et le cinéma sont de façon très assumées, les décors sont à vue comme on le dit dans le spectacle vivant, très floues.
Pour passer sa colère sur lui, d’abord elle se massacre elle. Boit, se drogue, puis elle comprendra que sa vie est ailleurs, qu’elle n’a pas à crever pour lui. Contrairement à la version d’Ivo Van Hove, qui tuait son héroïne, Almodóvar lui ordonne de faire table rase du passé et d’aller trouver un désir réel ailleurs, dans la vraie vie, la vraie ville et non plus une fiction mise en abyme.
Almodóvar n’a jamais cessé de filmer des femmes au bord de la crise de la nerf. Tilda Swinton est au delà du bord. Il joue de la caricature d’elle-même et fait raisonner sa pâleur et son roux dans une explosion, dans une rupture non consentie qui s’avère être une libération. Elle est divine en muse d’aujourd’hui, elle brûle l’écran à tous les sens du terme. La drama queen fera dans un acte qui semble très violent, son choix le plus raisonnable. La voix humaine est ici hurlante et elle s’entend bien fort, bien loin.
Le film présenté en séance spéciale à la Mostra de Venise, où d’ailleurs, Tilda Swinton s’est vue attribuer un Lion d’or honorifique, n’a pas encore de date de sortie en salles. Pour le moment, évidemment, puisque les cinémas restent contrairement aux lieux de culte, fermés. Il nous faudra donc comme elle, attendre et continuer à se mettre en colère.
Visuel : affiche