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“The earth is blue as an orange” d’Iryna Tsilyk : la sécurité d’unn foyer du Donbass

“The earth is blue as an orange” d’Iryna Tsilyk : la sécurité d’unn foyer du Donbass

12 June 2022 | PAR Maud Tenda

Diplômée de l’Université nationale de théâtre, de cinématographie et de télévision Karpenko-Kary de Kiev, Iryna Tsilyk s’est déjà vue récompensée pour ses précédents documentaires et courts-métrages dans de nombreux festivals internationaux. Elle sort cette semaine son premier long métrage de fiction The earth is blue as orange.

The earth is blue as an orange se déroule juste avant l’invasion russe en Ukraine et raconte le quotidien d’une famille vivant à Krasnohorivka dans la région du Donbass, ville proche du front où le conflit fait déjà rage depuis huit ans. Anna élève seule ses cinq enfants, l’aînée est passionnée de cinéma et décide de réaliser un court-métrage sur la guerre, toute la famille participe et le tournage devient un exutoire. The earth is blue as orange n’est pas seulement un film sur la guerre, c’est un film sur la sécurité d’un foyer familial, sur les petits bonheurs du quotidien qui subsistent malgré tout.

« Tu as toutes les joies solaires. Tout le soleil sur la terre. »

On est tenté de se demander pourquoi avoir choisi comme titre le célèbre premier vers du poème de Paul Eluard pour nommer un film qui parle de la guerre dans la région du Donbass. En réalité La terre est bleue comme une orange évoque en premier lieu l’absurdité de la vie sur un territoire en guerre. Iryna Tsilyk explique que les enfants qui ont grandi durant la guerre ne font plus du tout attention aux bruits des bombardements. Ensuite, la poésie d’Eluard est dédiée aux femmes, comme le travail de la réalisatrice qui, déjà dans un précèdent film, avait fait le portait de combattantes ukrainiennes et qui, dans The earth is blue as an orange, montre toute son admiration pour Anna, la mère de famille à la force tranquille qui élève ses cinq enfants tout en écrivant le film avec sa fille. D’ailleurs, tous les personnages du film sont des femmes, la grand-mère, la tante, la mère, la fille. On a presque l’impression d’être dans une communauté matriarcale. « Mon mari a émigré au Canada, je n’ai reçu aucun appel, le salaud. Bon Dieu, ont-ils un cœur ces hommes ? » s’exclame une voisine pendant qu’elle coupe les cheveux au plus jeune. Enfin The earth is blue as an orange est, comme le poème, un film sur la joie, sur le bonheur d’une vie familiale saine et sécurisante, sur les plaisirs du quotidien que l’on connaît tous, mais qu’on se surprend à reconnaître dans le film. Anna arrache avec une ficelle une dent de lait à son jeune fils en rigolant, la tortue prend un bain dans l’évier de la salle de bain, une des filles tente les accords d’une chanson de Léonard Cohen à la guitare, de la même manière que la rondeur dans le vers rappelle le calme sphérique de la terre et l’orange le fruit qu’on recevait les jours de fête. Effectivement, le film commence par un bombardement et par la colère des voisines qui sortent de chez elles pour observer les dégâts. Cependant, on entend, dans le film, moins de pleurs que de rires. La guerre en devient d’autant plus réaliste qu’Iryna Tsilyk présente le portrait d’une famille de Krasnohorivka, plus qu’un film sur les conflits ukrainiens. Et c’est la joie de cette famille qui subsiste coûte que coûte qui rend la guerre plus réaliste pour quelqu’un qui ne la vit pas, alors que l’on s’imagine que les familles du Donbass pensent depuis huit ans, nuit et jour, aux combats, on n’oublie que, si nous étions à leurs places, la guerre ne nous empêcherait pas de jouer de la guitare ou de regarder des films, de continuer à vivre, même avec, derrière les fenêtres, le bruit des bombardements.

Jouer la guerre

La guerre est évidemment toujours présente en arrière-plan, dans les discussions et les jeux des enfants, mais surtout, elle est le sujet du court-métrage réalisé par l’aînée de la famille auquel participe toute la famille et qui fait office d’exutoire. La guerre devient un plateau de tournage, Anna et sa fille demandent à des tankistes de jouer dans une scène, les immeubles détruits sont toujours mentionnés dans la préparation des plans. Au début du tournage, la famille a du mal à étouffer des rires avant de commencer à tourner des scènes ; la tante se plaint, en rigolant, qu’elle ne descend plus aussi rapidement qu’avant sur l’échelle qui permet de se réfugier à la cave. Ils jouent à être sérieux « Ah non ! Ça doit être plus dramatique » se reprend la fille cadette avant de refaire une scène. Le tournage devient ensuite cathartique, lorsque tous les membres de la famille passent, chacun leur tour, face caméra, pour parler de leurs souvenirs douloureux. C’est l’un des seuls moments du film où la famille exprime sa douleur devant les autres, et où l’on prend conscience de l’ampleur du traumatisme de chacun. Le cinéma devient un outil psychologique, où le fait de jouer et de se voir jouer la guerre, comme lors de la projection du film de la jeune fille dans une salle des fêtes de la ville, permet de prendre conscience de ses propres souffrances.

The earth is blue as an orange, d’Iryna Tsilyk, 74 min, Ukraine/ Lituanie, sortie le 8 juin 2022.

Visuel (c) affiche du film

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