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Reprise : trois films éblouissants de Michael Roemer, dont “Nothing but a man” (1964)

Reprise : trois films éblouissants de Michael Roemer, dont “Nothing but a man” (1964)

20 March 2023 | PAR Olivia Leboyer
Nothing but a man
Nothing but a man

 

Trois films de Michael Rœmer ressortent en salles, en version restaurée. Le sous-titre “American trilogy” manifeste l’acuité du regard posé par le cinéaste sur la société, dans sa complexité. Très différents les uns des autres, par le ton, par les milieux observés, les trois films se rejoignent dans une attention extrêmement forte aux êtres, aux regards. Trois films précieux, à découvrir absolument.

Cinéaste indépendant, profondément libre, Michael Rœmer observe la société américaine et ses marges. On croirait voir la vie captée sur le vif, tant les acteurs rayonnent chez lui de naturel. Nothing but a man (1964) suit le parcours, implacable, d’un jeune cheminot, Duff Anderson, en Alabama. The Plot against Harry (1970) suit un gangster juif ashkénaze qui reprend ses petites combines en sortant d’une courte parenthèse en prison. Vengeance is mine (1984) suit une séduisante jeune femme libre et mélancolique, entre deux avions et deux espoirs morts.

Quoi de commun entre ces trois personnages ? Pas grand-chose en apparence. Une certaine solitude, irréductible. Etrangers, ils se heurtent aux préjugés ou à l’indifférence, à leurs propres angoisses aussi. Dans Nothing but a man, Duff Anderson (Ivan Dixon) a envie de vivre, de tomber amoureux, comme n’importe qui. Mais dans une petite ville d’Alabama, dans les années 1960, un Noir n’a pas les mêmes droits que n’importe qui, n’est pas regardé de la même façon. Le mariage ? S’il suffisait d’aimer, ce serait parfait, mais pour Duff et Josie (Abbey Lincoln), institutrice dans une école pour les Noirs, se mettre en ménage, trouver un emploi, cela n’a rien de simple. “Evite le mariage, tu ne t’en sortiras pas.” lui lance un ami. Pourquoi ? Car, dans cette société, “On n’a pas l’habitude de voir un Noir tenir tête.” Se prendrait-il pour un Blanc, à être aussi bien dans sa peau ? Ils n’auront de cesse de lui faire courber l’échine, les Blancs comme ces Noirs qui ont décidé de “laisser croire aux Blancs qu’ils ont raison pour avoir ce qu’ils veulent.” Son beau-père, pasteur, a choisi de ne pas faire de vagues, soumis dans l’âme. Son père, marginal, vit sa vie de paria, malade et coupé de la société. Quel destin pour Duff ? A Josie qui l’exhorte au stoïcisme : “Ils ne peuvent pas m’atteindre à l’intérieur“, il répondra que lui préfère “aller chercher les problèmes“, quitte à perdre toujours plus. Mais garder la tête haute. Ce film, sobre et tranchant (où l’on entend une chanson de Stevie Wonder), était l’un des préférés de Malcolm X, qui y voyait une peinture dure et juste de la condition des Noirs.

 

The plot against Harry

Dans The plot against Harry, la communauté juive ashkénaze est scrutée avec tendresse et dérision, petit microcosme sans queue ni tête, où les traditions et les magouilles se mêlent. Une bar-mitzvah bringuebalante, des retrouvailles père-fille(s) drolatiques et vaguement émues, rythment cette promenade nocturne pleine de charme. Harry (Martin Priest) est fatigué, un peu las, toujours poursuivi par sa grande sœur mille fois plus virile que lui. Sa fortune, sa famille, sa santé lui échappent au fil d’une farandole nonchalante. Michael Rœmer saisit quelque chose de ténu, en suivant le quotidien d’un anti-héros en demi-teinte, en sourdine.

 

Vengeance is mine

Encore plus étrange, peut-être, Vengeance is mine n’ausculte pas une communauté, mais quelques personnages bel et bien déracinés. Mary-Jo (extraordinaire Brooke Adams) ne tient même pas à son prénom. Elle est tantôt Jo, tantôt Mary, flottant entre deux ou trois vies possibles, qui pourraient lui aller. Enfant adoptée, elle a subi le rejet de sa mère, femme rigide. A seize ans, un jeune homme l’a mise enceinte. Ou plutôt, “Je l’ai laissé me mettre enceinte“, admet-elle avec un sourire triste. Que lui reste-t-il ? Un métier, dans le journaliste de mode, qui lui apporterait peut-être une forme d’émancipation. Et pour le reste ? Qu’espérer quand on s’est construite seule, éternelle étrangère ? Jo sympathise avec une artiste à fleur de peau, séduisante et bohême. Très vite, elle se trouve mêlée à une effroyable mécanique d’enfermement : Donna (Trish van Devere), extrêmement instable, violente, représente une menace pour sa fille d’une dizaine d’années. Alors, Jo, qui a passé sa vie à s’isoler, se sent une responsabilité vis-à-vis de l’enfant.

Forts et fragiles à la fois, les trois personnages de Michael Rœmer se heurtent à l’intolérance, au conformisme. Ils promènent leur solitude, mesurant leurs espoirs à l’aune d’un brusque rayon de soleil. A moins qu’il s’agisse de leur liberté ?

American Trilogy, de Michael Rœmer, Nothing but a man (1964, 1h30, avec Ivan Dixon, Abbey Lincoln, Julius Harris, Yaphet Koto), The plot against Harry (1970, 1h21, avec Martin Priest, Ben Lang, Maxine Woods), Vengeance is mine (1984, 1h58, avec Brooke Adams, Trish van Devere, John Devries, Ari Meyers). Versions restaurées, les films du Camélia, en salles le 15 mars 2023.

visuels: photos officielles des films.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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