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[Critique] « Citizenfour » de Laura Poitras. L’affaire Edward Snowden filmée de l’intérieur dans un incroyable documentaire

[Critique] « Citizenfour » de Laura Poitras. L’affaire Edward Snowden filmée de l’intérieur dans un incroyable documentaire

07 March 2015 | PAR Gilles Herail

Citizenfour n’est pas un simple documentaire retraçant l’affaire Snowden et dénonçant les méthodes d’espionnage de la NSA. C’est une expérience unique, en immersion, qui nous plonge quasiment en temps réel, aux côtés de Snowden et des journalistes impliqués, au moment même où s’organise la révélation d’un scandale d’une ampleur inégalée. Véritablement scotchant. 

[rating=5]

Synopsis officiel: En 2013, Edward Snowden déclenche l’un des plus grands séismes politiques aux Etats-Unis en révélant des documents secret-défense de la NSA. Sous le nom le code « CITIZENFOUR », il contacte la documentariste américaine Laura Poitras. Elle part le rejoindre à Hong Kong et réalise en temps réel CITIZENFOUR, un document historique unique et un portrait intime d’Edward Snowden.

L’actualité continue de mettre en avant les donneurs d’alerte depuis plusieurs semaines. e documentaire Le Prix à Payer sur l’évasion fiscale (légale) des grandes entreprises, le dossier SwissLeaks sur les pratiques douteuses d’HSBC ou encore le débat sur la protection du “secret des affaires”. Et maintenant ce Citizenfour, décortiquant les révélations de Snowden sur les politiques de surveillance post 11 septembre. La réalisatrice Laura Poitras propose une expérience de cinéma assez unique. Qui malgré un dispositif minimaliste dans sa forme, passionne et scotche de bout en bout, comme un thriller. Contactée par Snowden qu’elle ne connait alors que sous le pseudonyme de “CitizenFour”, la cinéaste l’accompagne tout au long de l’affaire. Après une courte introduction contextuelle, le documentaire devient un huis clos, dans une chambre d’hôtel hongkongaise. Au moment même où Snowden rencontre deux journalistes de confiance avec lesquels il prépare la publication de ses données.

Citizenfour est une réussite cinématographique incontestable, qui évite tous les pièges de la dramatisation à outrance et s’évertue à ne pas héroiser la figure de Snowden. Laura Poitras réussit à capter l’urgence et le caractère extra-ordinaire d’une situation qui dépasse tous les protagonistes impliqués. Un saisissant “calme avant la tempête” où Snowden impressionne par son sang-froid, sa paranoïa rationalisée, sa rapidité d’esprit, sa capacité à revenir très précisément sur tous les documents qu’il a minutieusement préparés. On ressent la déstabilisation des deux journalistes, désarçonnés par cette atmosphère de film d’espionnage. Le montage donne l’impression d’un document en temps réel, porteur d’une incroyable tension. Car les protagonistes ne savent pas à quoi s’attendre une fois les premiers articles publiés. Car chaque donneur d’alerte prend de véritables risques personnels et que Snowden voit en direct la machine d’intimidation se mettant en place contre lui.

Cet aspect humain et émotionnel ne doit pas occulter les questions passionnantes que pose le documentaire, brillant sur le fond. Citizenfour en dit d’abord beaucoup sur le système dévoilé par Snowden, son ampleur, ses ramifications, ses compromissions, ses risques, son hallucinante absence de contrôle. Une toute puissance rendue possible par les lois anti-terroristes mais pouvant servir d’autres objectifs, diplomatiques ou économiques. Snowden explique extrêmement bien comment le croisement de données espionnées ou achetées, notamment auprès des opérateurs télécoms, peut permettre d’établir des profils individuels extrêmement bien informés. Avec les seules informations d’un pass métro, d’une carte de crédit, d’un téléphone et d’un ordinateur. Questionnant les libertés individuelles les plus primaires de la population américaine, mais aussi des citoyens du monde entier. Au sein d’un système qui dépasse la NSA et implique d’autres pays (notamment le Royaume-Uni dénoncé comme la nation la plus jusqu’au-boutiste en la matière). Sans jamais céder à la tentation complotiste, Citizenfour fait froid dans le dos, listant les nombreux sous-dossiers d’une bombe à retardement inépuisable.

Citizenfour nous apprend également beaucoup sur l’importance du travail de la presse. Pour éviter de céder à un désir personnel de vendetta, Snowden associe en effet les deux journalistes contactés pour définir une stratégie de diffusion. Eviter d’apparaître à  l’image trop vite pour ne pas personnaliser l’affaire, au détriment du fond. Faire des choix dans la publication, censurer, anonymiser, exposer, hiérarchiser l’information. Eviter un emballement médiatique éphémère et travailler au contraire pour maintenir les révélations à l’agenda pendant plusieurs semaines. Citizenfour montre l’implication de The Guardian, en première ligne aux côtés de Snowden. C’est cette association entre un journal puissant, indépendant et reconnu d’un côté et un donneur d’alerte méthodique et ultra organisé de l’autre, qui aura permis d’informer le grand public. Que vous soyez ou non sensible aux questions de protection des données et de libertés individuelles, CitizenFour est un objet culturel et historique rare, incroyablement stimulant. A voir absolument.

Gilles Hérail

Un documentaire de Laura Poitras sur Edward Snowden, durée 1H54, sortie le 4 mars 2015

Bande-annonce et visuels officiels.

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