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Biarritz: “Un brasier de terre sèche” des femmes puissantes en marge

Biarritz: “Un brasier de terre sèche” des femmes puissantes en marge

28 September 2022 | PAR Olivia Leboyer
Un brasier de terre sèche

Cette année, le festival de Biarritz Amérique latine, centré sur le Brésil, a donné carte blanche à Kleber Mendonça Filho (réalisateur des magnifiques Les Bruits de Recife, Aquarius, Bacurau), dont l’œuvre est nourrie par l’histoire du cinéma de son pays. Grâce à lui, nous découvrons un film tout récent, Mato seco em chamas de Adirley Queiros, qui nous plonge dans un univers parallèle, une raffinerie de pétrole clandestine en périphérie de ville, tenue par une communauté d’ex-prisonnières. Un choc.

Ce film impose son rythme avec superbe. Lent, hypnotique comme le pétrole en feu, les grésillements, les bruits sourds des machines. C’est un film de matières et de sensations. Dans ce monde clos, entre qui sait voir et écouter : un profil de femme se découpe sur fond de ciel nocturne, on discerne les ombres, aussi troubles que le pétrole visqueux. Sur un toit, une silhouette de femme, nonchalante, carabine en main, tandis que les paroles d’une chanson douce invitent à tuer l’homme, au plus vite. Constamment, ce long film enroule tendresse et violence, confondues dans une même fascination pour les marges et les rapports de force.

A sa sortie de prison, Léa retrouve son frère Cocoa et sa demi-sœur Chirita, devenue entre-temps la reine du quartier. Dans cette favela misérable, la jeune femme a trouvé les plans d’un oléoduc souterrain et c’est elle qui négocie le prix de l’essence avec les bikers du motocross. Comme deux chats, les demi-sœurs, qui se connaissent peu, s’apprivoisent tranquillement, en évoquant la figure du père, un caïd légendaire et un tombeur. Léa lui ressemble, elle qui avait 3 femmes pour elle dans sa cellule, qu’elle trompait de temps à autre. Pleine d’assurance, avec sa longue chevelure lisse, la jeune femme irradie la puissance et le sexe. En plaisantant, elle insiste sur son aura. Plus discrète, Chirita est aussi davantage prudente. Autour d’elles, d’autres femmes fortes, comme cette jeune mère au regard triste qui s’engage pleinement pour la représentation du PPE (Parti des Prisonniers du Peuple). Nous sommes en 2019 et un long plan-séquence nous montre, en contrepoint de ce monde en marge, la campagne de Jair Bolsonaro, scandée par des “Le Brésil au-dessus de tout / Dieu au-dessus de tout ! Le capitaine est arrivé.” Ses partisans transpirent l’arrogance.

En marge, ce monde de femmes du crime, entre trafic de drogue, braquages et combines, érigé comme un roc, possède sa propre force. Il y a un parfum de western dans l’attente désolée qui s’installe, avant que les choses dérapent. En prison, ce n’était pas drôle, mais Léa a toujours gardé la tête haute et le sens de la fête, le panache. Dans sa vie d’avant, il y a eu des hommes, son premier amour, tué, et son fils, son “petit prince”, son “étalon”, 12 ans aujourd’hui. Des enfants, Chirita et elle en ont, mais elles les voient épisodiquement, quand leur vie de bandit le leur permet.

Dures comme des silex, ces femmes se livrent par instants, soudain fragiles, entre elles ou à nous, face caméra, dans un joli mélange de fiction et de documentaire. “Comme un brasier de terre sèche / Dans une explosion d’émotion / Désir, feu, passion“, les paroles d’une chanson sentimentale résonnent dans la nuit. Et entre les séances de karaoké et les messes d’Eglise aux chants plus qu’entraînants (répétez 7 fois “Je suis plus qu’un vainqueur“), c’est la même croyance. Parce qu’il n’y a rien d’autre.

Un film tendu et puissant, tranquille et indomptable, qui nous met le feu. Un mixte entre Mad Max et There Will be blood ? Oui, et plus encore.

Mato seco em chamas (Un brasier de terre sèche) d’Adirley Queiros Andrade et Joana Pimenta, Brésil, 153 minutes, avec Joana Darc, Léa Alves, Andreia Vieira, Débora Alencar, Gleide Firmino. Festival du film d’Amérique latine, Focus Brésil, carte blanche à Kleber Mendonça Filho.

visuels: photo officielle du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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