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Bastien Simon, réalisateur du film “Les Grands Voisins” : “Je voulais un film choral avec l’idée même des Grands Voisins de rassembler les publics, les nationalités et les parcours.”

Bastien Simon, réalisateur du film “Les Grands Voisins” : “Je voulais un film choral avec l’idée même des Grands Voisins de rassembler les publics, les nationalités et les parcours.”

31 March 2020 | PAR Julia Wahl

Bastien Simon a réalisé le film documentaire Les Grands Voisins. La Cité rêvée, qui sort en e-cinéma le 1er avril. Il a bien voulu répondre à nos questions sur le film et la démarche de ce ce village solidaire.

J’aurais aimé commencer par votre arrivée aux Grands Voisins en 2015 ; vous êtes y allé comme artiste ?

Je suis arrivé pas vraiment comme artiste mais plutôt comme réalisateur. Une personne m’a dit qu’il y avait des ateliers à moindre coût disponibles dans un ancien hôpital. On a essayé tout bonnement de prendre un local et d’y mettre notre bureau de production et de réalisation. On a été refusé à ce moment-là. Pour moi, le ciel s’est écroulé. Et on s’est retrouvé, avec ma conjointe, qui est scénographe-accessoiriste, à refaire un dossier. On a fait des pieds et des mains pour être pris. L’endroit qu’on avait repéré était devenu la rue des artisans. Alors on a fait un autre dossier à trois personnes et on a dit qu’on faisait de l’artisanat, ce qui est vrai : on fait de la déco, on travaille de nos mains. Et après, j’ai sorti ma caméra.

Comment avez-vous entendu parler de cette initiative ?

Par un ami qui l’a lui-même appris d’un autre ami. Donc, c’était vraiment du bouche-à-oreille. On a eu droit aux premières visites. À ce moment-là, je ne savais pas qu’il y avait toute cette idée de village solidaire, avec l’hébergement sur place. C’est après coup que j’ai su qu’il y avait aussi du social derrière et, à ce moment-là, pour moi, le projet a pris vraiment un niveau au-dessus.

C’est à ce moment-là que vous avez décidé de faire un documentaire dessus…

Quand on rentrait dans le projet des Grands Voisins, dans le dossier, il fallait proposer un projet. Il ne fallait pas venir les mains dans les poches. Tout de suite, je leur ai dit : « Moi, je suis réalisateur, j’ai une caméra, je peux filmer la vie du site. » Ça, c’était fin 2015 et, début 2016, après les vacances de Noël, j’ai décidé de faire un film par mois, qui présente mois par mois l’évolution du projet. Donc, ça m’a donné douze films et un an de repérage pour le long-métrage.

Quand on voit le long-métrage, on sent en effet que vous avez une matière très importante, que vous avez sans doute beaucoup coupée. Comment se sont faits les choix en termes de montage ?

Le montage s’est fait avec Suzanne Van Boxsom. Ça, c’était en post-production, une fois que j’avais choisi mes protagonistes. On a fait un retour sur tous les rushes que j’avais et on a fait notre petit mur de post-it pour voir quelles informations j’avais réellement sur ces personnes-là. À partir de là, on a construit l’ossature du film en voyant que par exemple, pour telle personne, on n’avait pas assez de matière et que ça ne pouvait pas convenir ; par contre, celle-là s’est révélée, je ne m’étais pas rendu compte que j’avais autant de matière. On a cherché des profils très différents par rapport à cette matière-là, que j’avais sélectionnée évidemment en amont : au bout de la première année, je savais qui je voulais suivre le plus possible. J’avais la matière nécessaire pour à peu près huit personnages, ce qui, pour le film, était beaucoup trop : on en a cinq maintenant. Ça fait quand même un film assez choral. Ça a été vraiment un gros travail de narration après coup, avec la monteuse, pour raconter l’histoire des Grands Voisins avec ces personnages-là.

Alors, comment s’est fait véritablement le choix des personnages ?

Je ne voulais pas faire un film uniquement sur les personnes hébergées qui parlerait seulement de la condition immigrée. Je voulais un film choral avec l’idée même des Grands Voisins de rassembler les publics, les nationalités et les parcours. Les personnages se sont vraiment révélés avec le temps. Le cœur, c’est Adrien, avec ses cours [de musique], et autour de lui gravitent des personnages secondaires. Maël, je l’ai rencontré assez tôt ; c’est un artiste-peintre et j’y ai vu un lien avec mon père, qui est aussi artiste-peintre. Il y a forcément des figures, comme ça, qui se rattachent à ce que nous sommes et à ce que nous avons vécu. Tout de suite, il s’est révélé ce personnage un peu atypique, jovial, et à la fois de galérien, aussi, avec ses problèmes de papier. Aurore représentait un personnage un peu plus féminin et la question de la gouvernance féminine, qui était quand même prépondérante. Elle ne se révèle malheureusement pas assez dans ce film-là, pour diverses raisons…

C’est vrai que c’est un film très masculin. Est-ce que vous en êtes conscient ?

Si si si (rires). Je me suis arraché les cheveux depuis le début. C’est terrible, parce que, moi, je suis très féministe, je suis entouré de féministes et ça a été une galère. J’avais suivi plusieurs personnages féminins, certains sont partis en cours de route. Pour Aurore, j’ai perdu des rushes très importants… Déjà, au moment de ma série documentaire en 2016, je m’étais tapé sur les doigts, sur le fait que ça manquait de femmes. J’avais fait un épisode spécial sur la gouvernance des femmes sur le site mais, pour le long-métrage, je manquais de matière pour ne pas perdre le public. Donc, oui, j’en suis parfaitement conscient et, aujourd’hui, je suis en train de faire un autre documentaire pour me rattraper.

Je m’étais demandé si ça ne correspondait pas tout bêtement à la réalité des résidences…

Alors, les femmes étaient très présentes dans les bureaux, mais moins dans les centres. Après, il y avait un foyer de femmes qui s’appelait Cœurs de femmes, avec une vingtaine ou une trentaine de femmes seules, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de femmes dans les autres foyers. Mais il y avait quand même plus d’hommes.

Est-il question d’une projection du film à destination des résidents ?

C’était prévu le 17 avril. Après, il y a toujours la barrière de l’achat de la place ou de la connexion internet pour voir le film [en e-cinéma maintenant]. Sur un téléphone, ce n’est tout de même pas pareil. Mais oui, il devait y avoir une projection que, je pense, on va décaler mi-juin ou début juillet.

À propos du e-cinéma, est-ce que vous pouvez me dire comment le projet a éclos ?

Les salles fermaient progressivement et Pierre-Emmanuel Le Goff [le distributeur du film] m’a appelé et m’a dit : « Écoute, on va sortir quand même le film, mais en e-cinéma. » Le connaissant un peu – il a toujours de petites idées en distribution, qui font mouche – , je me suis dit : « Bon, ben, soit ça passe, soit ça casse, mais je pense que c’est une bonne idée de le tester actuellement. Les gens vont être chez eux et n’auront pas forcément grand-chose à faire. » Et le type de film correspond parfaitement à ce type d’initiative. Ça parle de rencontres, de vivre-ensemble, il y a un côté ensoleillé qui se prête à la situation actuelle. Ça sort du quotidien un peu moribond.

Pouvez-vous me parler de vos autres projets ?

Je peux en parler mais je ne peux pas trop en dévoiler. Il y a ce fameux film documentaire, que je suis en train de créer avec Nelly Deflisque, une collègue des Grands Voisins, qui est journaliste. C’est un film qui parle de révolution d’un point de vue féminin. Après, j’ai un projet de court-métrage qui est écrit et qu’il faut que j’envoie pour des aides, un court-métrage d’une trentaine de minutes, à la limite du fantastique, mais toujours sur des thèmes de marginalité et d’entraide.

Visuel : Vincent Rochette

“Les Grands Voisins. La cité rêvée”, de Bastien Simon
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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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