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“Alice et le maire” Fabrice Luchini tente de combiner la pensée et l’action politique

“Alice et le maire” Fabrice Luchini tente de combiner la pensée et l’action politique

25 June 2019 | PAR Olivia Leboyer

 

Dans le court-métrage La République (Prix Jean Vigo 2010), dans Le Grand Jeu (Prix Louis Delluc du premier film 2015, Nicolas Pariser filmait déjà les arcanes du monde politique. Son second film, Alice et le maire (Quinzaine des réalisateurs, 2019), nous rend témoins de la relation tissée entre le maire de Lyon et une jeune philosophe.

L’étonnement philosophique

Le titre n’est pas La philosophe et le maire : ici, Alice (Anaïs Demoustier) ne joue pas un rôle précis, ne rentre pas dans telle ou telle case. Philosophe, elle l’est par l’attitude. Hannah Arendt rappelait que le premier geste philosophique, c’est l’étonnement. Lorsqu’on l’interroge sur son parcours, elle répond, un peu évasive, « de longues études de lettres, de la philosophie, des voyages à l’étranger ». Sa disponibilité, sa curiosité, forment le cœur du film.

Paul Théraneau (Fabrice Luchini), lui, maire socialiste de Lyon, a fait de la politique sa vie. Une vocation, et plus encore, puisque sa vie personnelle s’est réduite à peau de chagrin. Affectée à un Pôle des Idées tout juste créé, Alice rédige librement des notes et vole au passage quelques moments de conversation avec le maire, dans une voiture ou un couloir. En politique, tout va très vite, travailler sur le mode de l’urgence donnant une illusion d’efficacité.

D’un milieu à l’autre

Mais le maire est en panne d’idées, d’inspiration, fatigué de devoir afficher un progressisme à tout crin qui ne renvoie plus à des projets concrets et nettement délimités. Etre progressiste, être socialiste, encore faut-il retrouver le sens qui rattache la pensée à l’action. Sans jugement, Alice observe les us et coutumes de ce milieu nouveau, qu’elle découvre et apprivoise. Les heurts avec le service com, qui préfère des éléments de langage à une analyse mieux sentie, sont décrits avec justesse. Mais Alice Heiman s’irrite lorsque ses anciens condisciples normaliens, ou cet amant de passage imprimeur, rejettent en bloc le monde politique. Les intellectuels, eux aussi, à leur manière, constituent un petit entre-soi, avec ses codes et ses ridicules. Nicolas Pariser évite les raccourcis sociologiques. Sur la trajectoire d’Alice Heiman, nous ne saurons rien. A nous d’écouter attentivement l’écriture du discours sur “nos enfants de la République”: avant, les écoles d’ingénieurs formaient des ingénieurs, et non des banquiers, les écoles de commerce des entrepreneurs, et non des banquiers”, ses réactions face à l’urgence climatique, pour se faire une idée, non de ses origines, mais de ses valeurs.

Une relation tout en douceur

Naviguant entre deux eaux, Alice ressent une sorte de fascination pour l’animal politique qu’est Paul Théraneau. Séduisant, habile, fin, il joue de sa lassitude avec charme, le temps d’un discours ou d’un questionnement. En douceur, les trépidations politiques s’apaisent parfois, pour un temps suspendu, autour de la « décence commune » d’Orwell, des rêveries de Rousseau,  d’Illich ou de Melville. Pas de pédanterie, là-dedans. Parfois, quelques questions simples, un ou deux silences au téléphone, suffisent à faire repartir Paul Théraneau. Mais vers où ?

Entre la gestion quotidienne de la ville, les grands projets (un « Lyon 2500 » cocasse, porté par un Thomas Chabrol hilarant), le Congrès du parti socialiste et la perspective des présidentielle, le maire s’interroge sur son périmètre d’action. La modestie, la raison, devraient permettre d’œuvrer pour les autres, à une juste distance. Entre Alice et le maire, il n’y a pas seulement des mots, mais des regards complices, une intimité qui se crée. Mais, dans le jeu politique, on ne peut savoir à l’avance qui sera le maître du temps.

Alice et le maire, de Nicolas Pariser, France, 1h45, avec Fabrice Luchini, Anaïs Demoustier, Nora Hamzawi, Léonie Simaga, Antoine Reinartz, Maud Wyler, Alexandre Steiger. Sortie le 2 octobre 2019.

Visuels: affiche officielle du film, photo et bande annonce officielles. 

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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