“Hollywood classique. Le temps des géants”, premier tome d’un triptyque monumental sur le cinéma hollywoodien

Les ouvrages des éditions Rouge Profond méritent souvent toute notre attention : ils contrastent souvent avec la majorité des livres sur le cinéma actuel (s’agissant de la collection Raccords), par les sujets traités ou la manière dont ces sujets sont abordés. Avec Hollywood classique il ne s’agit bien évidemment pas d’un sujet jamais abordé auparavant ; il ne s’agit pas non plus d’un énième ouvrage sur le cinéma hollywoodien, mais d’une véritable mine d’or, de ses rares livres à posséder à tout prix chez soi lorsque des noms tels qu’Alfred Hitchcock, Cecil B. DeMille, David O. Selznick ou encore John Ford et Orson Welles sont source de plaisir intarissable.

Pierre Berthomieu est spécialiste du cinéma hollywoodien (ne dites pas américain!), maître de conférence à l’université Paris-Diderot, il collabore régulièrement à la revue Positif. Hollywood classique aurait pu être un simple livre d’un érudit en cinéma, dans lequel il retrace les différentes évolutions formelles d’hollywood ; mais il n’en est rien, il s’agit avant tout d’un livre écrit par un amoureux du cinéma.

Dans une longue introduction à la première personne (près de 30 pages) l’auteur s’ouvre et relate ô combien le cinéma de la côte ouest le fascine depuis tout petit. Le cinéma doit émerveiller, les films doivent être reçus avec les yeux d’un enfant, il faut garder cette naïveté innocente avant de se lancer dans de quelconques développements de spécialiste. Pour l’auteur ce sont les nuages d’orange pourpre d’Autant en emporte le vent [Gone with the wind, 1939] qui ont été le déclic ; le film de Victor Fleming occupe d’ailleurs une place de choix dans cet impressionnant ouvrage.

Hollywood classique donc, c’est-à-dire l’âge d’or des studios (des origines du cinéma hollywoodien aux années 1960) ; l’époque révolue où des hommes seuls tels qu’Arthur Freed (pour le musical) David O. Selznick, Darryl Zanuck et autres grands producteurs pouvaient réunir avec leurs seuls moyens autant de talents nécessaires pour faire “LE” film de l’année, voire de l’Histoire… Hollywood l’usine à rêves, avec sur le même lieu le studio de tournage, la salle de montage, l’auditorium pour la bande son ainsi que toutes les ressources indispensables pour réaliser un film. Une époque où les cinq majors possédaient leur style et leurs spécialités : la MGM le mélodrame et le musical, Universal le monster movie, la Paramount l’inventivité formelle la plus poussée…

C’est cette époque que Pierre Berthomieu fait renaître, dans cette formidable mine d’or richement détaillée. Procédant tour à tour à une approche chronologique, transversale ou thématique, il n’oublie pas que le cinéma, en particulier le cinéma classique, est le résultat de la rencontre entre plusieurs talents (réalisateur, producteur, compositeur, scénariste, directeur artistique…) ; en cela il étudie bien sûr les réalisateurs, les producteurs mais également tous ces artisans qui ont défini hollywood et les différents films sur lesquels ils ont travaillés. On apprécie en cela les parties sur l’esthète William Cameron Menziès (directeur artistique, notamment sur Autant en emporte le vent), les compositeurs Max Steiner ou Korngold ou même les théories théâtrales d’Adolphe Appia.

La richesse de l’ouvrage émane bien évidemment de ses six cents pages et trois mille illustrations mais également de l’incroyable bibliographie consultée. Le livre foisonne d’informations issues d’une multitude d’ouvrages dont beaucoup sont inédits en français et il nous offre ainsi pour notre plus grand plaisir une traduction de ces différents extraits d’ouvrages, notes ou propos de cinéastes, producteurs, acteurs… Pierre Berthomieu réhabilite également de nombreux auteurs ou films oubliés, délaissés voire raillés : Max Reinhart/William Dierterle et leur flamboyant Songe d’une nuit d’été (1935) par exemple. Il fallait oser accorder toute une partie à King Vidor, cinéaste à cheval entre le muet et le parlant, totalement oublié du grand public et voire d’une certaine partie des “spécialistes” ; de même que mettre sur un même plan Walt Disney, King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack) et Citizen Kane (Orson Welles) ; à ce propos Fantasia sorti en 1940 est selon l’auteur le film le plus audacieux du cinéma classique hollywoodien !

Ouvrage d’un amoureux donc, et il va sans dire que les oeuvres abordées sont celles qui le fascinent, l’émeuvent le plus. On perçoit ainsi son amour pour Michael Curtiz, la Paramount, la Warner, David O. Selznick, John Ford ou encore le western ; en revanche les monstres des studios Universal, la comédie ou le film noir semblent moins l’émouvoir.

Toujours est-il que l’auteur retrace une formidable histoire. Le cinéma hollywoodien est un cinéma qui embrasse le monde. Comme il le dit si bien : “Les histoires que raconte le cinéma hollywoodien […] tutoient l’univers”.