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[Interview] Ra’anan Lévy : « Quand je travaille je pense au corps humain »

[Interview] Ra’anan Lévy : « Quand je travaille je pense au corps humain »

29 September 2015 | PAR Christophe Dard

Jusqu’au 31 octobre 2015, la galerie Maeght à Paris propose la nouvelle exposition de Ra’anan Lévy, La Suite, et dévoile plus de trente créations récentes, des huiles sur toile et des œuvres sur papier.
Toute la culture a rencontré cet artiste attachant, désireux de faire de l’insignifiance de notre quotidien un motif artistique décliné en séries.

Un pas en avant - 2014 - Huile sur toile - 248 x 198 cm - © Galerie Maeght Paris
Un pas en avant – 2014 – Huile sur toile – 248 x 198 cm – © Galerie Maeght Paris

Depuis ses origines, l’art a un rituel immuable, une manie, celle de voir ses représentants faire allégeance à certains sujets. L’artiste s’éprend d’un thème favori, l’épouse et enfante des œuvres jusqu’à concevoir des séries. Chez Ra’anan Lévy, les champs d’expérimentation sont nombreux. Né en 1954 en Israël, l’artiste, qui partage son temps entre Florence et Paris, travaille à de multiples reprises sur le même motif, par des approches et des angles différents, comme un scientifique analyse et dissèque plusieurs fois son objet.

Après des séries sur les lavabos, les tables de travail, les lits défaits mais aussi des autoportraits, Ra’anan Lévy, présenté précédemment à Londres, Tel Aviv, Jérusalem, Saint-Pétersbourg, Zurich et New York, revient à la galerie Maeght à Paris où il a déjà exposé en 2013. Il rejoint ainsi le cercle de privilégiés qui font de cette galerie gracieuse et coquette un haut lieu de l’éloquence artistique depuis plus d’un demi-siècle, de Miró à Calder en passant par Braque, Matisse, Chagall ou encore Tàpies.

Oasis - 2014 - Patel et fusain sur papier - 57 x 76 cm - © Galerie Maeght Paris
Oasis – 2014 – Patel et fusain sur papier – 57 x 76 cm – © Galerie Maeght Paris

Pour cette nouvelle exposition, Ra’anan Lévy, Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, nous fait découvrir de nouvelles séries d’œuvres : les mains, langage miroir de notre personnalité, les appartements vides dont la solitude est bousculée par les battements de portes et des courants d’air qui se prolongent dans des couloirs sans fin comme pris au piège dans un labyrinthe, et enfin les bouches d’égout, âmes discrètes tapies sous nos pieds.

C’est dans l’une des salles de la galerie Maeght, sous le regard des appartements vides et des mains aux caractères extraverties, que Ra’anan Lévy nous parle de son travail et de son parcours.

Que représentent les appartements vides, ces portes et ces longs couloirs ?
Ra’anan Lévy : Quand je représente les appartements je pense au corps humain. Les portes sont des organes ou des objets abstraits. Quand je travaille j’ai toujours un livre d’anatomie. Je l’ouvre au hasard.
Les portes sont un sujet que j’ai commencé il y a 10 ans à peu près. Je n’avais pas d’idée de ce que je voulais peindre. Je me baladais dans Paris au début du mois d’août, devant une agence immobilière, et j’ai vu en vitrine les photos des appartements vides. Je me suis dit que c’était un bon sujet pour exprimer ce que je voulais, pour raconter une histoire. Ce vide est comme une pièce de théâtre dans laquelle je pourrai mettre ce que je veux.
Alors je suis entré dans l’agence et j’ai demandé à visiter un appartement. L’agent a pensé que j’étais un acheteur. Je lui ai demandé quelques croquis et je lui ai fait croire que je devais les envoyer à ma femme pour qu’elle puisse voir l’appartement etc… Petit à petit j’ai développé cette habitude et j’ai trouvé que c’était un excellent sujet. Je peux arriver à donner la sensation de se promener dans le tableau et en même temps c’est très abstrait. Mon ambition est d’inviter le spectateur dans le tableau et le laisser penser et imaginer ce qu’il veut.

Hypnose - 2014 - Pastel sur papier - 50 x 54 cm - © Galerie Maeght Paris
Hypnose – 2014 – Pastel sur papier – 50 x 54 cm – © Galerie Maeght Paris

L’autre thème récurrent dans votre travail, et également présenté dans l’exposition La Suite, ce sont les mains. Que symbolisent-t-elles ?
Ra’anan Lévy :
Quand j’étais jeune, pour aller à l’école, je devais prendre le bus. Le trajet durait une heure environ alors j’ai développé un jeu, regarder les mains des voyageurs et deviner ce qu’ils faisaient dans leur vie. J’ai gardé ce jeu.
D’autres part, il y a quelques années, un de mes meilleurs amis, le président du Musée Maillol (ndlr Olivier Lorquin) avait des douleurs aux mains et il est allé chez un spécialiste. En sortant, il m’a appelé et il m’a suggéré ce sujet que je n’avais jamais représenté. J’ai commencé à faire cette série sur les mains.
Plus tard, à l’imprimerie de la galerie Maeght, j’ai produit 7 gravures sur les mains.

Element essentiel - 2015 - Huile sur toile - 190 x 205 cm - © Galerie Maeght Paris
Element essentiel – 2015 – Huile sur toile – 190 x 205 cm – © Galerie Maeght Paris

Quel rapport avez-vous avec vos œuvres ?
Ra’anan Lévy :
Un rapport compliqué. Je n’ai pas de sentiment parental vis-à-vis de mes œuvres et je me dis que la meilleure œuvre est la prochaine. Ce n’est pas facile de trouver un sujet et cela se fait par hasard.
Par exemple, comme je partage mon temps entre Florence et Paris, j’ai des amis en Italie et une fois j’ai vu un tonneau pour faire de l’huile d’olive, un tonneau devenu un refuge pour les renards. Par ses formes, ce vieil objet abandonné dont la fonction avait changé me correspondait totalement. J’ai été fasciné. Ce tonneau ressemblait à la chair humaine.
De même d’autres sujets me fascinent telles les bouches d’égout. Pour moi ces bouches sont comme des nombrils.

Stigmate, 2014, pastel sur papier, 57 x 75 cm © Galerie Maeght Paris
Stigmate, 2014, pastel sur papier, 57 x 75 cm © Galerie Maeght Paris

Quelle part ont vos voyages dans votre travail ?
Ra’anan Lévy :
J’ai étudié à l’Académie des beaux-arts de Florence (ndlr dans la seconde moitié des années 70) et l’art italien m’a influencé. Ensuite, à Amsterdam, j’ai découvert et adoré les peintres hollandais. Toutes ces influences ont été absorbées dans mon travail. Mais, en tant que peintre et lorsque regarde les grands maîtres, le sujet m’intéresse moins que la manière.

Pourquoi avoir choisi de vous installer en France et plus précisément à Paris ?
Ra’anan Lévy :
La France m’a toujours fasciné. J’ai étudié la langue française au centre culturel français de Tel-Aviv et dans ma famille, juive syrienne, la culture française n’était pas étrangère. La Syrie était un protectorat français.
Lorsque j’ai étudié à l’Université hébraïque de Jerusalem (ndlr entre 1980 et 1982) je me suis intéressé au jansénisme, un mouvement catholique complexe et j’ai étudié la littérature arabe.
Et en fait je suis arrivé à Paris par hasard. J’ai reçu une bourse de la Fondation de France (ndlr en 1987) puis un atelier de la ville de Paris, un petit appartement où j’ai vécu 12 ans. Ensuite j’ai acheté mon propre atelier.

Interview réalisée par Christophe Dard.

INFORMATIONS PRATIQUES :
Ra’anan Lévy « La Suite »
Galerie Maeght
42, rue du Bac 75007 Paris
Ouverte le lundi de 10h à 18h et du mardi au samedi de 9h30 à 19h
01 45 48 45 15
www.maeght.com/galeries

A noter : Un catalogue de l’exposition de Ra’anan Lévy, comprenant des textes d’Alain Jaubert et d’Olivier Lorquin, est coédité par la Galerie Maeght et la Galerie Dina Vierny.

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Christophe Dard
Titulaire d’un Master 2 d’histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Christophe Dard présente les journaux, les flashs et la chronique "L'histoire des Juifs de France" dans la matinale (6h-9h) sur Radio J. Il est par ailleurs auteur pour l'émission de Franck Ferrand sur Radio Classique, auteur de podcasts pour Majelan et attaché de production à France Info. Christophe Dard collabore pour Toute la Culture depuis 2013.

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