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Une vie magnifique… mais pour tous ?

Une vie magnifique… mais pour tous ?

20 October 2015 | PAR Franck Jacquet

En cette semaine de Fiac, le Palais de Tokyo débute sa nouvelle saison. Après les demi-teintes de la précédente et alors que « L’état du ciel » fut un succès, « La vie Magnifique » qui ouvre cette semaine a pour objectif cette fois de faire se confronter des générations différentes d’artistes. Le propos est simple : embellir le quotidien. En fait, on est plutôt confronté à des expositions très différentes, presque juxtaposées. Si le suisse Ugo Rondinone enchante par son hommage à l’artiste octogénaire John Giorno, la magie est moins évidente dans les autres cas… Petite visite.

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Du bel hommage…

Incontestablement, la partie forte tient au parcours célébrant l’œuvre de John Giorno, artiste multitâches émergeant dans l’underground des années 1960, il faut bien le dire peu connu en France mais déjà présent au Palais. Ugo Rondinone a le mérite de la clarté et intitule donc son exposition sur l’octogénaire : « I love John Giorno ». Un peu moins d’une dizaines de salles sont consacrées à cette admiration. Une salle immersive projette Giorno racontant son parcours et surtout son idée du parcours. Le vieil homme est toujours sémillant, ses pieds nus jamais au repos le prouvent, tandis qu’il se raconte… On côtoie autant l’homme qui célébra le quotidien des créateurs et musiciens du second XXe siècle que son imaginaire personnel donc : un temps de l’exposition est ainsi dédié, grâce à des prêts du musée Guimet, à sa spiritualité bouddhiste. Cette dernière ne l’empêche pas de créer films (le célèbre « Sleep » en 1963), de proposer des poèmes par téléphone l’année de la révolution de la jeunesse occidentale ou encore de collectionner chaque jour depuis des décennies un aperçu de ce qu’est la création. Ainsi ses archives personnelles sont reproduites et peuvent être feuilletées dans une grande salle constellée de ses photos, poèmes ou textes (voir photographie de la galerie). Inévitablement, on pense à l’exposition Warhol qui se tient juste à côté, au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Les grandes phrases vidéos lues sur les écrans complètent l’univers de cet homme qui effectivement, réjouit le quotidien à travers l’œil que porte Udo Rondinone. On a aussi appelé au numéro dédié à la reprise des lectures de poèmes qui eut lieu dans les glorieuses sixties (0800106106); on le conseille ! Une vraie réussite !

L’ordinaire et le quotidien

Pour le reste, les autres niveaux et la friche sont occupés par l’ordinaire. On se pose donc la question : où est-il possible de déceler dans le quotidien une part d’extraordinaire ? Ou alors tout est-il plutôt ramené à la fabrique et à la reproduction d’un ordinaire ? Sans nul doute, relire De Certeau ferait écho aux œuvres des autres artistes exposés ici.

Mélanie Matranga est exposée pour la première fois au Palais dans le cadre de toute une partie monographique. Un vaste volume est à peine approprié par ses installations qui évoquent une vie étudiante (lits superposés, éclairages ikea, fumoir et chaises – fauteuils comme recyclés…). Certains murs de béton sont recouverts de photographies et de dessins sur le banal. On se demande si l’artiste a souhaité imprégner un lieu si froid et vaste d’une lumière plus douce, chaude ou rassurante. Quoiqu’il en soit, Matranga apparaît par le fragile, l’ordinaire. On imagine presque, un moment, un film français dit « du milieu ». Un instant seulement, car on ne perçoit aucune dimension tragique dans ce banal.

Tout autre est l’univers de Ragnar Kjartansson, islandais de son état. Pourquoi mettre en avant ici son origine ? Parce que si on continue dans une comparaison cinématographique, autant l’art de Matranga représente un peu une scène française particulièrement tournée vers l’intime et oubliant les grands récits, autant Kjartansson réveille tous nos clichés sur l’Europe du Nord : le décor de rochers nous accueillant est un décor de théâtre, mais un décor dans lequel on imagine une mer du Nord démontée… De même, les vidéos de sa mère lui crachant dessus à répétition, ou celle d’un chien trônant dans un intérieur 1970 où seule une pendule vient évoquer un temps qui passe, sans fard, nous évoquent le dogme. Une fascination de l’ennui. Tout près, un chien court après sa maîtresse autour de la piscine dans laquelle elle nage… Une évocation à l’ordinary way of life d’un Martin Parr ? On reconnaîtra le courage des deux acteurs qui vivent toute la journée (plus de 10h par jour !) dans un décor (imaginé) de la France des années 1950 et qui, régulièrement, sortent de leur chambre pour se dire bonjour. L’évocation de la France rance nous laisse franchement de côté alors que les vidéos peuvent fasciner…

Les ajouts

Comme à son habitude, la programmation joue l’étalement des installations pour éviter que l’effet de vernissage lors de la Fiac ne retombe réellement. Ainsi, plusieurs modules sont à venir dans les prochaines semaines. Parmi ceux-ci, on retiendra particulièrement les lauréats du Salon de Montrouge : Willem Boel, Marion Bataillard, François Malingrëy et Arthur Lambert. Soutenus par la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint-Laurent, ils feront référence notamment à Lyotard ou aux tunnels de lumière vus par ceux passés par le stade de la mort clinique. Réjouissant ? Dans tous les cas, on les attend, de même que plusieurs autres performances au long de cette saison de rentrée qui est aussi attachée au Festival d’automne.

Visuels :

Visuel 1 : Vue de l’exposition ; Salle : I love John Giorno.

Visuel 2 : John Giorno, Don’t wait for anything, 2012. Sérigraphie sur toile, 122 x 122 cm  © John Giorno. Courtesy de l’artiste et Almine Rech Gallery.

Visuel 3 : Ragnar Kjartansson, Me and My Mother, 2015. Photogramme. Courtesy de l’artiste, Luhring Augustine Gallery (New York) & i8 Gallery (Reykjavik).

Visuel 4 : vue de l’exposition ; Partie : Ragnar Kjartansson ; vidéos.

Visuel 5 : Mélanie Matranga. Vue de l’exposition A perspective, somehow, Karma International, Zurich, 2015. Photo: Gunnar Meier. Courtesy Karma International et Mélanie Matranga.

Visuel 6 : U. Rondinone et J. Giorno durant la visite inaugurale.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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