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Quand le design embrasse l’art à pleine bouche : QUIZ à la Galerie Poirel de Nancy

Quand le design embrasse l’art à pleine bouche : QUIZ à la Galerie Poirel de Nancy

28 June 2014 | PAR Maïlys Celeux-Lanval

Si je pose une chaise dans un musée, elle sera regardée comme un objet de design ; si je la retourne et que je m’appelle, disons, Marcel Duchamp, elle sera regardée comme une œuvre d’art. Bon. Ainsi, la frontière entre l’art et le design est aussi ténue que mystérieuse et, avouons-le, subjective. Mais, de toute manière, où va-t-on avec des définitions ? Robert Stadler dit merde à l’éternel débat art ou design et vous propose une belle exposition d’une grande fraîcheur : QUIZ, à la Galerie Poirel de Nancy, du 13 juin au 12 octobre 2014.

photo-2Robert Stadler est designer. Invité à exposer à la Galerie Poirel, il décide de ne pas faire une rétrospective de son travail, mais une grande exposition d’objets qui questionnent le spectateur, « résistant aux typologies pré-établies » (il a invité pour l’occasion Alexis Vaillant, curator au CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux). En deux mots, la Galerie Poirel accueille des dizaines d’objets exposés sans explication, pour inviter le public à les regarder, les regarder longtemps, et se questionner : qu’est-ce que c’est ? Est-ce un grille-pain, un porte-manteau, une sculpture conceptuelle ? Mais surtout, repartir de zéro et observer les objets comme postulats esthétiques, propositions de formes et de couleurs.
On aime le flottement que propose Robert Stadler : ce QUIZ est à la fois une suite de questions et une suite de réponses, une invitation à oublier le réel et à le reconstruire. Entrer dans la Galerie Poirel, déshabiller son cerveau de toute association forme-fonction, et même de toute culture du design (oublier par exemple que ce petit objet brillant, tout en lignes, qui ressemble à une pile de disques, est la chaussure à talon compensé Nova de la célébrissime Zaha Hadid).
Le casting est superbe : on trouve de grands noms comme Ron Arad ou Donald Judd, mais aussi des projets de fin d’études, comme cette radio ressemblant à une algue sous-marine de Cyril Afsa. Des objets récents donc, d’autres datant de la première moitié du XXème siècle, pour une cohérence dans la forme rêveuse, la fonction qui s’efface, le réel qui se déguise.
Quelques coups de cœur : la carafe qui se courbe sur un verre d’Aldo Bakker (Jug & Cup, 2011), dont la forme évoque un pénis recourbé. C’est un objet étrangement poétique, généreux, dont la fonction est difficile à deviner tant qu’on ne le touche pas. On aime aussi beaucoup ce triangle de marbre blanc, qui, quand on le couvre d’un livre ouvert, sert de marque-page : le Marble bookmark de Paul Cocksedge (2014) est d’une remarquable simplicité, tout en élégance et en évidence. Mathieu Mercier montre un néon blanc tout mou, qui pend comme une corde à une petite attache noire (Sans titre, 2005) : lampe, installation, peu importe, l’effet est dingue. Lui-même déclare : « Tôt ou tard, la portée symbolique d’un objet sera toujours plus efficace que sa fonction. »
Pour finir, une anecdote : lors de l’inauguration de l’exposition, nous visitions, attentifs, l’exposition, jusqu’à arriver dans une pièce avec de grandes assises bleues – le même bleu que les socles des objets. Mais alors, on hésite : peut-on s’asseoir ? Vraie question, surtout que les deux bancs ne sont pas pareils, l’un des deux est orné d’un tout petit bouton gris, le faisant tout entier passer pour une œuvre intouchable. On demande à Robert Stadler ce qu’il en est : il rit, et explique que oui, nous pouvons nous asseoir sur les bancs, et que ce petit objet n’est autre qu’un crampon de chaussure de foot, posé là par Philip Newcombe (Hooligan, 2013). C’est bel et bien une œuvre et elle a fait exactement ce que son auteur désirait, à savoir court-circuiter les objets. Ce petit crampon avait fait passer l’immense banc pour une œuvre : donc, finalement, art ou design, n’oublions surtout pas de brouiller les pistes ! C’est plus amusant !
QUIZ, sur une idée de Robert Stadler, à la Galerie Poirel de Nancy, du 13 juin au 12 octobre 2014

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Maïlys Celeux-Lanval

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