Expos
L’univers sans l’homme, utopies, dystopies et réalité

L’univers sans l’homme, utopies, dystopies et réalité

16 May 2023 | PAR Laetitia Larralde

Le musée de Valence nous emporte cet été avec sa nouvelle exposition L’univers sans l’homme dans une exploration artistique et philosophique de ce que serait le monde sans les hommes. Entre catastrophes naturelles, intelligences artificielles et exploration du vivant et du cosmos, la réflexion est riche et stimulante.

L’univers sans l’homme : ce titre en lui-même est beau, et entraîne notre esprit sur de nombreuses pistes de réflexion. Est-ce que l’on se situe avant ou après l’existence de l’homme ? Comment la planète pourrait-elle évoluer après notre disparition ? Que deviendraient les traces que nous aurions laissées ? La phrase à l’origine du titre est issue d’un texte de Baudelaire qui, suite à sa visite du Salon de peinture de 1859, se lamentait de la tendance des peintres réalistes à se détourner de l’art qui stimule l’imagination et l’idéalisation en ne peignant que des sujets triviaux comme des animaux ou des paysages. L’artiste ne devrait donc pas uniquement copier la réalité, mais lui apposer un filtre.

L’histoire de l’art nous montre que l’homme s’est souvent accordé une place centrale dans ses représentations artistiques. Dans un monde créé par les divinités pour lui, il se conçoit logiquement comme le centre de l’univers. Mais ces convictions vont être ébranlées peu à peu, d’une part par la catastrophe du séisme de Lisbonne de 1755 et d’autre part par les avancées scientifiques qui replacent l’homme dans la nature, et non plus au-dessus. Ainsi, cette même année où Baudelaire s’offusquait paraissait De l’origine des espèces de Darwin.

L’artiste représente, consciemment ou non, la société dans laquelle il vit. Les grandes catastrophes naturelles, couplées à la volonté d’étudier ces mécanismes de la nature qui surviennent indépendamment de la destinée humaine ou de toute volonté divine, poussent ainsi les artistes à détourner leur regard de l’homme, se faisant le relais de nouvelles conceptions du monde. Mettre en scène la force destructrice de la nature ou sa beauté pourrait également permettre de justifier le déclassement de l’homme, et peu à peu à le transformer en un élément du décor comme un autre. Nous pouvons ici mettre en parallèle cette exposition avec celle du Louvre Lens, Paysage, qui met aussi l’accent sur la raréfaction de la figure humaine dans l’art.

Les œuvres présentées ne sont pas totalement exemptes de présence humaine, et le visiteur se doit de garder à l’esprit le propos de l’exposition, tant nous nous sommes accoutumés à ne pas nécessairement voir de personnages dans l’art. Certaines œuvres mettant en scène des villes désertes comme les photos d’Atget ou les photomontages de Nicolas Moulin, relues aujourd’hui après avoir vécu les confinements dus au Covid prennent un sens nouveau. Elles cristallisent la peur de la fin de l’humanité que les guerres, la bombe atomique ou le changement climatique entretiennent.

Deux grandes craintes taraudent l’homme contemporain : les menaces toujours plus fortes des catastrophes naturelles, que l’homme a contribué à intensifier, et son remplacement par les machines, robots ou intelligences artificielles. Les bras mécaniques de Patrick Tresset sont capables de dessiner une nature morte en face d’eux, tout comme Deep Blue a vaincu Kasparov, la machine peut donc reproduire ce que fait l’homme. Mais ce fantasme des machines se soulevant et voulant détruire l’homme n’est-il pas une projection d’un comportement humain autodestructeur ? Si la machine dépasse l’homme un jour, ne cherchera-t-elle pas au contraire à vivre en paix ?

Pour ne pas terminer l’exposition sur une vision d’apocalypse, son commissaire Thomas Schlesser, qui travaille sur le sujet depuis dix ans et a publié un livre éponyme en 2016, a souhaité mettre en lumière les promesses et la beauté de l’univers. Car si l’homme est voué à disparaître un jour de la Terre, cela ne signifie pas que toute vie s’éteindra avec lui, ni qu’il ne survivra pas d’une autre façon. A l’échelle de l’univers, l’homme n’est qu’une poussière, aussi fascinante dans le beau que dans le mauvais qu’elle peut produire. Aussi, pour reprendre la citation de René Char qui clôt l’exposition, si « la vie aime la conscience qu’on a d’elle », ne serait-il pas plus sage d’accepter la possibilité que l’univers continue un jour sans nous dans notre forme actuelle et d’écouter aujourd’hui ce que le vivant a à nous dire ?

Pour compléter la visite de l’exposition, une vidéo de l’artiste Angelika Markul nous entraîne dans la grotte de Naica au Mexique à la suite de scientifiques explorant ses cristaux géants dans une atmosphère invivable pour l’homme. L’œuvre est à découvrir à la Bourse du travail, à quelques minutes du musée.

L’univers sans l’homme – les arts en quête d’autres mondes
Du 13 mai au 17 septembre 2023
Musée de Valence – art et archéologie

Si les heures m’étaient comptées – Angelika Markul
Du 12 avril au 28 mai 2023
Bourse du travail – Valence

Visuels : 1 – affiche de l’exposition / 2- Pierre-Henri de Valenciennes, Éruption du Vésuve arrivée le 24 août de l’an 79 de J.-C. sous le règne de Titus, 1813, huile sur toile, 148 x 196 cm – Toulouse, Musée des Augustins © Mairie de Toulouse, Musée des Augustins, Photo Daniel Martin / 3- Eugène Atget Passage conduisant à la rue Vieille-du Temple, 6 rue des Guillemites (4e arr), 1911, tirage sur papier albuminé, 21,5 x 17,8 cm – Musée Carnavalet, Histoire de Paris © Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris / 4- Gustave Courbet, La Vague, Vers 1871-1873, huile sur toile, 55 x 65 cm, Collection de Bueil & Ract-Madoux, Paris © Collection de Bueil & Ract-Madoux, Paris / 5- Louis le Kim, Sans titre – Astana, Kazakhstan , 2015, édition 2/8, tirage sur papier vélin contrecollé sur Dibond, 66 x 100 cm – Collection de l’artiste © Louis Le Kim

“Treize nouvelles vaudou” : Gary Victor nous guide avec simplicité dans les méandres du fantastique haïtien
“Matière sombre” rend à la physique sa part de rêve et de poésie
Avatar photo
Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration