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L’image-papillon : un florilège d’artistes contemporains tissent des fils de mémoire au MUDAM

L’image-papillon : un florilège d’artistes contemporains tissent des fils de mémoire au MUDAM

11 July 2013 | PAR Yaël Hirsch

 

 

 

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Jusqu’au 8 septembre le MUDAM de Luxembourg propose une exposition fascinante qui présente 16 artistes contemporains, certains déjà très renommés (Felix Gonzales-Torres, Danh Vo), d’autres que l’on découvre grâce à l’exposition. Le fil directeur des ailes du papillon est un travail commun sur le temps, travail que l’exposition relie à l’œuvre mythique et fascinante de l’écrivain allemand W.G. Sebald (1944-2001). Imaginée par le commissaire Christophe Gallois, « L’image-papillon » offre un panorama formidable et sublimement mis en scène et en perspective sur le lien entre art et mémoire d’aujourd’hui.

Dans ses livres, W.G. Sebald développe un art hybride et mystérieux, où l’écriture est enchevêtrée d’images trouvées non légendées. Comme happé par les « Anneaux de Saturne », « sans doute » ces « fragments d’une Lune plus ancienne, trop proches de la planète et finalement détruite » (exergue du livre), l’art de Sebald superpose les couches de passé disparu. « L’image-papillon », selon le titre de l‘ouvrage dédié par Muriel Pic à Sebald (Les Presses du réel, 2009) fait référence à cet animal qui renvoie à la fois au collectionneur qui épingle et au mouvement fragile et fébrile de l’insecte. A la fois continent fixement perdu et énergie en mouvement, le passé selon Sebald est dialectique. L’exposition du MUDAM met en relation 16 artistes dont les œuvres réfléchissent (sur) ce passé paradoxal, soit pour regretter l’érosion et la disparition, soit attachés à la quête de retrouver le passé perdu, soit enfin, interrogeant ces objets fascinants et mystérieux que sont des fragments retrouvés, désormais impossibles à interpréter. Parmi les 16 artistes tous se réfèrent indirectement ou indirectement à Sebald, que ce soit en ayant trouvé l’inspiration dans son œuvre comme l’américaine Helen Mirra ou la britannique Tacita Dean, où en proposant des formes qui rappellent certains clichés des « Anneaux de saturne » ou de « Austerlitz ».

C’est par cette artiste britannique vivant à Berlin que l’on commence l’exposition au rez-de chaussée du musée. Traces, passé, et mémoire sont la matière raffinée d’une œuvre qui varie les médias. Qu’elle se réfère directement à l’œuvre de Sebald dans le film sur des architectures délaissées, « Sound mirrors » (1999), qu’elle dessine des insignes passés sur l’albâtre « Three Pairs » (2009), ou qu’elle joue avec texte et image et en noir et blanc sur les doubles-fins que certaines productions danoises prévoyaient pendant la guerre froide selon qu’ils devaient être projetés aux Etats-Unis ou en Russie (« The Russian Ending », 2001).

Photographiant des objets à l’abandon, aussi bien des pommiers en fleurs, des cartes de villes que – et c’est sa marque de fabrique- des poupées de cires mutilées exhalant inquiétante étrangeté, la photographe américaine Zoe Leonard interroge le temps, et même son temps, par le biais de la subjectivité.

D’inspiration dada, les collages du britannique John Stezaker s’emparent d’images trouvées pour les entrechoquer et, ce, en diverses dimensions. Convoquant les fantômes du passé, faisant réapparaître quelque chose où l’on pensait que tout avait été détruit, l’artiste surprend en reprenant le fil des temps. Ses fragments de « The 3rd person archive » (1976) se situent aux limites de la vision et ont quelque chose de complètement atemporel.

Travaillant l’intime et représentant son intérieur au prisme de Roland Barthe et Susan Sontag, la canadienne Moyra Davy livre des photos qui sont de véritables natures mortes et semblent véritablement arrêter le temps.

Mudam_Papillon-joechen lempertTraversant le musée sous la lumière brillante qui filtre du toit de verre imaginée par Pei, l’on reste au même étage pour y découvrir encore toute une série d’artistes, qui situent leur réflexion sur la mémoire aux confins de la nature et de l’art. Biologiste, l’Allemand Jochen Lempert prépose un drôle de bestiaire, où la photo paraît dessin et où la lumière impose des traces qui rejouent le paradoxe du papillon : à la fois vibrantes et épinglées.

En trois dimensions et avec des matériaux pauvres, Helen Mirra propose dans son « Terrapin » (2007) une sorte de Baedeker à la Joseph Beuys. Aux marcheurs qui croiseraient son œuvre, elle adresse également un «Grey index » qui permet de slalomer, manteau sur le dos à travers le lichen du temps. Dans ces « Fileds recordings » (2010) elle met même au point une méthode d’enregistrement d’un environnement menacé de disparition.

Avec « Temps scellé », le photographe Dove Allouche (actuellement à l’affiche des Nouvelles vagues du Palais de Tokyo) revient sur les lieux du tournage du mythique film de science fiction d’Andrei Tarkovski : « Stalker » (1979)… Pour y trouver une nature flamboyante qui conserve néanmoins des teintes spécialement bleutées sinon spatiales. Passé et futur percutent dans ce retour sur un film d’anticipation.

Elaborant des objets en tension entre architecture, art abstrait et objets trouvés, le plasticien anglais Ian Kiaer redessine des mondes perdus en mode minutieux avec des vestiges.

Présentant ses installations comme le résultat de processus plus ou moins violents, l’américain Jason Dodge présente plus qu’il ne représente les objets bouleversés par le temps.

Enfin, quoi de mieux que le son pour prendre la mesure de notre perception du temps ? Ce riche parcours du rez-de –chaussée se clôt par une installation sonore imaginée ad hoc par le français Dominique Petitgrand (2013).

mudam image papillon danh voEn descendant les escaliers majestueux du MUDAM vers le sous-sol où se poursuit l’exposition, l’on est accueilli par une éblouissante et immense installation sculpturale de Danh Vo (actuellement également à l’honneur du MAM) qui réfléchit par le cuivre le morcellement qui se dessine derrière la statue de la liberté éclatée et également sous la première personne majestueuse du début de la Constitution américaine : « We the people » (2011-2013).

On entre dans les entrailles de ce rez-de-chaussée pour poursuivre par une variation dérangeante de l’artiste d’origine vietnamienne sur la vie d’un jeune homme photographié dans son pays d’origine par un certain Joe Carrier dans les années 1960 et 1970. A travers ces portraits à la fois réalistes et sensuels, Danh Vo qui a du quitter son pays pour le Danemark à 4 ans, réinvente sa propre biographie et confronte les notions de mémoire et de vérité.

Artiste français et grandi en Guyane, Mathieu Kleybe Abbnenc développe une œuvre passionnante sur le passé colonial. Reproductions de 6 gravures datant de la colonisation, « Sans titre (Où que vous tourniez c’est la désolation, mais vous tournez pourtant), 2012 », les dessins de l’artiste représentant des paysages tropicaux et exotiques laissent un blanc terrible sur les corps des colons. Il y a également chez lui tout un travail de forge pour signifier par la matière le travail sur le temps : « Sans titre (des corps entassés), 2012 » travaille sur la croix de Kantanga, monnaie d’échange au Congo pillée par les belges pour recycler le cuivre, ou sur la chevalière que sa famille lui a léguée et qu’il a refondue, à l’envers comme dans un miroir (« Kannibalen I », 2013). Dans les deux cas, il documente ce travail de forge par de la vidéo.

Gros plan en super 8 sur 12 tapisseries du 16ème siècle « Subi dura a rudibus » des néerlandais Lonnie van Brumemlen et Siebren de Haan révèlent l’inconscient de ces chefs d’œuvre et de patience.

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Enfin, en final majestueux de cette exposition, une grande salle est dédiée à l’artiste cubain Felix Gonzales-Torres. Son « Untitled » de 1991 ressemble étonnamment à la première image insérée dans les « Anneaux de Saturne », et derrière un rideau d’ampoules (« Untitled » (North), 1993) tandis que le mythique « Untitled (Renvenge), 1991 » où l’artiste a étalé au sol son poids plus celui de son compagnon en bombons bleus, fait toujours un effet aussi saisissant.

En incorporant les divers effets du temps à leur travail plastique, les artistes de « l’exposition l’image papillon » nous proposent un formidable voyage où les secondes s’étirent en matière, lumière et en corridors parcourus. Ils  se situent ouvertement dans la ligne de l’écrivain et essayiste W.G Sebald, et jouent les « pêcheurs de perles », selon le joli mot de Walter Benjamin, en nous montrant que cet « ennemi » qu’est le temps est également ce qui confère aux objets et aux souvenirs leur caractère unique. Si le vent efface sur le sable les traces de vies, ces traces reconstituées par les artistes sont autant de lignes de singularité.

1. Jochen Lempert : Oiseaux-Vögel, 1997-2004, Courtesy ProjecteSD, Barcelone © Photo : Rémi Villaggi

2. Danh Vo, « We the people » (2011-2013), Courtesy Chantal Crousel ©  Photo Yaël Hirsch
3. Felix Gonzalez-Torres, Avant-plan : “Untitled”, 1991, Collection Walker Art Center, Minneapolis, T. B. Walker Acquisition Fund, 1991 / Au milieu : “Untitled” (North), 1993, Collection Marieluise Hessel, Hessel Museum of Art, Center for Curatorial Studies, Bard College, Annandale-on-Hudson, New-York / Arrière-plan : “Untitled” (Revenge), 1991, Courtesy Collection Barbara & Howard Morse, New York © Photo : Rémi Villaggi

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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