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“Eppur si Muove”, une toute grande exposition qui interroge les liens entre art et technique au MUDAM

“Eppur si Muove”, une toute grande exposition qui interroge les liens entre art et technique au MUDAM

05 October 2015 | PAR Yaël Hirsch

Fruit d’une collaboration intense et soutenue entre les conservateurs du MUDAM (Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean) et ceux du Musée des arts et métiers, Eppur si Muove établit des ponts fascinants entre 77 « inventions » modernes et 130 créations d’artistes contemporains allant de Nam June Paik à Julien Prévieux. Une toute grande exposition, cohérente, magnifiquement scénographiée, à la fois d’une exigeante et accessible à tous, qui s’ouvre sur le pendule de Foucault suspendu à la voûte en verre du MUDAM et se termine sur les robots sexys qui vont peut-être nous remplacer un jour comme inventeurs et comme artistes. Pour l’instant, ces robots font au moins guides, avec Guido, le robot guide mis au point par l’artiste Paul Granjon.

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Tout commence donc avec le pendule de Foucault, invention emblématique, que les spécialistes des Arts et métiers parisiens sont venus accrocher sous le verre majestueux du bâtiment de Pei. Pour le directeur du MUDAM, Enrico Lunghi, la collaboration est d’autant plus réussie qu’elle est inattendue entre son institution, dédiée à l’art contemporain et qui a moins de 10 ans avec le musée français qui a 200 ans et dont la vocation est avant tout celle d’archiver et de transformer en outils pédagogiques des inventions techniques. Un travail en commun inédit et une nouvelle manière de travailler à plusieurs commissaires qui ont d’autant mieux portés leurs fruits que l’exposition ne fait pas que présenter ensemble œuvres et inventions, mais quelle présente « un espace en partage » : celui de certaines questions cruciales sur notre monde. A Luxembourg, ces questions s’articulent clairement en trois parties : la mesure du monde, la matière dévoilée et les inventions appliquées. Concrètement, le Rez-de-Chaussée interroge par l’art et la technique notre rapport au temps et à l’espace. Le sous-sol fait de même avec l’infiniment grand, l’infiniment petit et questionne la matière visible ou imperceptible. L’étage enfin part des machines et de leur triomphe pour interroger leur impact sur nos vies et nos représentations du monde et de nous-mêmes< ; Alors que Christophe Gallois, conservateur au MUDAM évoque avec des étoiles dans les yeux les richesses des réserves des arts et métiers, conservées dans des réserves à Saint-Denis, il annonce avec joie que l’exposition du MUDAM aura son pendant au Musée des Arts et métiers à Paris au printemps. Une exposition repensée pour un espace un peu plus petit mais toujours conçue activement ensemble par les deux équipes.

Si l’on commence par Foucault et son invention, très vite l’on est invité à se confronter sur le mode de l’expérience à la rotation de la terre. Que ce soir à travers des œuvres (notamment le magnifique Padova de Raphaël Zarka d’après un instrument de Galilée, la performance romantique de Guido van der Werve, resté 24h debout au pôle nord pour voir la terre tourner, ou L’anti-gravity model de Grönund-Nisunen), des projets architecturaux (l’artiste et ingénieur Piotr Kowalski avait imaginé un bâtiment- pendule de Foucault en lieu et place de l’actuelle défense) on se demande toujours comment les corps tombent. A côté, on essaie de mesurer ou recréer (Kathy par Bertrand Lamarche) des tourbillons. Les mouvements et la géométrie questionnent à la fois ingénieurs et artistes (Célèbre Frictionless Sled de Chris Burden en 1983) quand les formes se déploient de manière géométrique dans l’espace installation élégante de Attila Csörgö). C’est dans la cacophonie à la fois angoissante et magnifique du monumental Fatamorgana, Méta-Harmonie IV (1985) de Jean Tinguely que l’on passe vers la deuxième partie de cette première section sur la mesure.

Et après le jeu des corps et la géométrie, l’on passe immédiatement à des questions existentielles. Comment mesure le temps ? C’est dans un espace habité par l’installation sonore One million years de On Kawara (2001) qu’on se met à compter les secondes. L’on commence par réaliser qu’il nous faut une unité de mesure harmonisée du temps, avec l’appareil de Huygens (dont les volutes sont réellement esthétiques) avant de voir Alicja Kwade, Darren Almond ou Katinka Bock jouer avec la matière du temps. Dans une salle à part les lanternes magiques clepsydre ou horloge de l’artiste portugais Francisco Tropa (2011) lient rêve et temps conscient. Si le temps bat comme un pouls, créatif et inventif, l’espace, lui, s’arpente. Du côté des scientifiques, les outils du géomètre et le mètre de référence se posent là. Les artistes tournent et détournent les normes, projetant un mètre de papier (Lasse Schmidt Hanssen) créant leurs propres cartes qui prennent en compte l’Histoire (Christoph Fink) ou calculant l’équivalent du mètre terrien pour une autre planète (Conrad Shawcross).

Les autres planètes et tout ce qui nous échappe, c’est tout ce que le deuxième chapitre de l’exposition « La matière dévoilée » questionne. Photos de lune développées à la lumière de l’astre (Lisa Oppenheim) et prototype de satellite à mettre en orbite (Trevor Paglen) côtoient les archives d’une mission historique autour d’une éclipse du soleil derrière Venus pour pointer vers l’infiniment grand. L’infiniment petit fond les matières des pommes et du bois chez l’artiste Edith Dekyndt ou une commande du portrait des ducs et duchesse du Luxembourg en mode nano interrogent l’infiniment petit. Côté perception, l’optique pose évidemment mille questions qui ont inspiré des artistes et dès les années 1880 des grandes planches chromatiques expliquant les interférences de la lumière font penser, bien avant l’heure à de l’Op art. Du côté des sons, on retrouve un prototype de Photophone de Bell, sorte de figure tutélaire son/lumière de nos fibres optiques et des œuvres qui dévoilent elles aussi cette matière acoustique. Enfin, aurores boréales, foudre, aimants, ondes et autres phénomènes vibratoires paranormaux ou normaux font l’objet d’une salle fascinante où artistes et ingénieurs travaillent autour du mouvement et de l’imperceptible dans un véritable bal où l’on a du mal à distinguer technique et art (Evariste Richer et Dove Allouche, Olafur Eliasson, Nam June Pain).

A l’étage, enfin, le troisième chapitre de cette promenade dans les espaces que partagent art sciences nous amènent du côté des “inventions appliquées”. On entre dans la problématique de la machine par la voie de l’outil (entre main et machine) (une machine à faire des fleurs en papiers côtoie une installation anthropomorphe de Damian Ortega) et celle – structurale- de l’industrialisation (Œuvre monumentale de l’allemand Michael Beuler). Chez Julien Prévieux, la réflexion, est, comme d’habitude très fine, sur le lien entre mouvement de la main et machine (What shall we do next ? 2007-2011). Avec une dynamo aussi bien qu’une installation de l’artiste Véronique Jounard, la maîtrise du courant marque clairement le triomphe de la machine.

Triomphe certain et parfaitement mesurable dans les révolutions non seulement de rêves, mais aussi dans les réalités de nos déplacements. Du train qui désenclave mais garde ses vieux rails (Zarka & Lamouroux) au chic moteur à exposition individuel (Damian Ortega célèbre l’avènement de la Vespa, accessible à tous, tandis que l’artiste Eric Van Hove fait appliquer l’artisanat marocain le plus délicat à un moteur historique de Mercedes). Si les machines sont reines, c’est qu’elles ont appris à calculer sans vertige, apprenant du cerveau humain (Julien Prévieux) pour mener vers un monde où l’on pourrait rêver d’un Corps sans organes (Tatsuo Miyajia). Machines à fumer, Cloaca du maître qui a fait la chapelle du MUDAM, Wim Delvoye et autres machines historiques comme le Canard digérateur de Jacques de Vaucanson (18e siècle) nous rappellent que ces derniers peuvent tout faire à notre place. Job le renard electronique des années 1950 où les travail de Stelarc nous rappellent que la machine et le vivant s’entremêlent désormais, mais c’est sur les notes positives d’une danse sensuelle avec les robots de Daria Martin (Soft materials) et d’une grand machine symbolisant le mythe d’actéon par Conrad Shawcross (Trophy) que se termine ce voyage entre science et art, corps et technique. Une fin plus esthétique qu’angoissante. Avec l’envie de refaire encore et encore ce parcours fleuve et terriblement riche.

Pour ceux et celles qui sont à Luxembourg du 15 au 17 octobre 2015, le colloque “Fabrique des sciences- Fabrique des arts” promet d’être fameux.

visuels:  YH

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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