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Charles Lansiaux à la Galerie des Bibliothèques : la guerre de 14-18 à travers le prisme du quotidien

Charles Lansiaux à la Galerie des Bibliothèques : la guerre de 14-18 à travers le prisme du quotidien

14 January 2014 | PAR Céline Duverne

Dans le cadre du cycle commémoratif du centenaire de la Grande Guerre, la Galerie des Bibliothèques de la Ville de Paris consacre une exposition au travail de Charles Lansiaux (1855-1939). Deux cents clichés de ce photographe méconnu ont été sélectionnés pour une mise en scène atypique, où la restitution d’une atmosphère et la perception distanciée du combat l’emportent sur le récit événementiel.

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Une plongée humaniste servie par un regard aiguisé :

Comment les Parisiens ont-ils appréhendé la Première Guerre mondiale ? C’est à cette vaste question que le travail de Charles Lansiaux s’efforce de répondre. Délaissant les tranchées, le photographe concentre son objectif sur la capitale, théâtre à ciel ouvert des grands chambardements. A travers le prisme de la vie urbaine, il nous livre une parcelle de vérité, celle d’une guerre perçue de l’extérieur par une population aux aguets. De la mobilisation des troupes aux canons de la victoire, le regard et l’attitude des sujets photographiés restituent en filigrane les diverses étapes qui jalonnent ce conflit.

La proximité de cette approche dépourvue d’héroïsme a sans doute longtemps contribué à maintenir dans l’obscurité le reportage de Lansiaux, à l’heure de la surenchère patriotique. Il aura fallu attendre l’apparition d’une perspective plus critique quant au rôle des conflits dans l’histoire pour reconnaître toute la valeur de ce témoignage en marge. Jusqu’alors méconnu, Lansiaux peut enfin trouver sa place au Panthéon des grands photographes de la ville de Paris, et s’imposer comme un chaînon manquant entre Atget et Doisneau.

Le parcours esquissé dans cette exposition s’articule autour d’une série de thèmes, révélateurs des principales orientations que Lansiaux souhaitait imprimer à son travail : « Appels », « Exodes », « Défense », « Ravitaillement », « Acclimatations », « Secours », « Dommages », « Victoires ? » et « Partage de l’information ». Des documents annexes et reproductions d’affiches viennent ponctuellement enrichir ce reportage.

Portrait d’une ville en mouvement :

Marquée par les stigmates du conflit, Paris quitte le statut de décor pour se muer en sujet à part entière : de nombreux clichés donnent à voir des rues désertes ou encombrées, défendues ou endommagées au gré des événements. La physionomie de la capitale, centre névralgique de la communication et des transports, se modifie au fil des combats ; aux flux militaires s’ajoutent les déplacements de populations (visuel 1). Quoique figée par essence, la photographie donne à voir cette circulation intense, notamment à travers la mise en place de campements de fortune. A l’animation fébrile succèdent parfois les rues désertes : deux clichés donnent à voir la place Saint-Michel et celle de la Concorde étonnamment vides, dans une atmosphère post-apocalyptique.

En parallèle s’organise la défense de la ville contre l’envahisseur. Les monuments sont protégés et les artères bouchées au moyen de branchages, autant de barrages de pacotille. Le regard de Lansiaux se fait plus critique : sa persistance à photographier ces piètres boucliers de fortune semble mettre en cause leur utilité. Une autre série de clichés donne à voir les dégâts matériels résultant des combats : des immeubles délabrés, devantures éventrées et constructions endommagées esquissent l’image d’une capitale cernée par le chaos.

Dans l’intimité des rapports humains :

Enthousiasme patriotique, chaleur des embrassades, moments de tensions et mouvements de foule sont saisis sur le vif. Après l’humiliante défaite de 1870, l’appel au combat sonne l’heure de la reconquête. A mille lieues de l’imagerie traditionnelle, les premiers clichés donnent à voir l’optimisme des mobilisés (visuel 2). Fleur au fusil, civils, combattants et volontaires italiens entonnent des chants patriotiques, les adieux sont tendres mais confiants.

A l’issue des premières batailles, les visages se ferment et le sentiment de l’urgence transparaît dans le regard des sujets (visuel 1) ; la réjouissance n’est plus de mise. La chaleur n’est cependant pas absente des rapports humains, et l’on voit par exemple des familles endeuillées se regrouper dans une brasserie pour deviser. C’est surtout la défaillance des pouvoirs publics qui favorise les initiatives philanthropiques. Les clichés consacrés à la prise en charge des blessés portent une attention accrue aux gestes et aux regards, partagés entre angoisse et sollicitude. Lansiaux rejoint ici l’imagerie traditionnelle de la guerre : des trains de blessés, des infirmières à l’œuvre dans des hôpitaux improvisés à la gare du Nord et au Grand Palais ponctuent ses photographies. A l’heure où sonne la victoire, la présence persistante des grands blessés occulte l’enthousiasme des débuts : la réjouissance attendue n’est pas au rendez-vous (visuel 3).

Une nouvelle géographie des rapports humains émerge au fil de ce reportage. La guerre fait trembler le cadastre multiséculaire du patriarcat tandis que la société civile, privée de sa force masculine, se restructure autour du pôle féminin. Une série de clichés rend hommage aux initiatives féminines pour faire face à la misère et organiser le ravitaillement. La présence récurrente de groupes d’enfants dans ces photographies révèle la place nouvelle qui leur incombe, à l’aube du XXe siècle. L’omniprésence de la violence renouvelle l’univers du jeu (visuel 4) et l’on voit de jeunes bambins imiter des guerriers : en marge des combats, la vie continue.

Le regard porté par Charles Lansiaux a le grand mérite de saisir dans un prisme original un thème rebattu : l’importance des scènes anecdotiques contribue à humaniser les protagonistes de cette Grande guerre, auxquels nous nous identifions sans mal, et leur confère une dimension intemporelle.

La Galerie des bibliothèques de la Ville de Paris vous ouvre ses portes du mardi au dimanche, de 13h à 19h (nocturne le jeudi jusqu’à 21h). Cette exposition s’inscrit dans le cadre d’un cycle commémoratif organisé par le réseau des bibliothèques de la Ville de Paris, en partenariat avec la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale. Retrouvez toute la programmation en ligne.

Visuels : ©  Dossier de presse officiel. A la une : affiche de l’exposition.

Infos pratiques

Galerie Spree
Théâtre Paris Villette
Céline Duverne

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