Arts
Corinne Deville, peindre sa vie

Corinne Deville, peindre sa vie

15 September 2022 | PAR Nicolas Villodre

La lumineuse expo Corinne Deville (1930-2021) que lui consacre le Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne (MahhsA) du 17 septembre 2022 au 29 janvier 2023 est l’occasion de découvrir ce lieu créé en 1950 au sein même de l’établissement psychiatrique, situé à une vingtaine de mètres de l’entrée principale.

Extension du champ de la poésie 

Le musée est souterrain. Underground. Comme peuvent paraître, à première vue, les œuvres de peintres en marge de la société, que l’art-thérapie, cathartique par définition, aide à faire naître ou renaître. Après-guerre, si l’on en croit un article de Nicole Gabriel sur Unica Zürn publié par la revue Mélusine, autour du Professeur Jean Delay, œuvraient les docteurs Robert Volmat, Guy Rosolato et Gaston Ferdière – lequel avait été, on s’en souvient, le médecin d’Antonin Artaud à Rodez. Le musée porta longtemps le nom de Singer-Polignac, d’après le patronyme de la mécène Winnerata Singer, l’une des filles d’Isaac Singer, sœur de Paris Singer (mécène d’Isadora Duncan, avec laquelle il eut un fils, Patrick), laquelle avait épousé le prince de Polignac en 1893.

Après s’être focalisé sur des malades traités en hôpital psychiatrique comme Leonora Carrington (ex-compagne de Max Ernst) ou Bernard Réquichot (un des peintres de la galerie Daniel Cordier), le musée élargit son champ à l’art dit « psycho-pathologique », puis à l’art tout court. Ainsi, le travail de Corinne Deville, quoiqu’il puisse être rattaché à l’art marginal, aux expressions populaires, à la peinture naïve, à l’art brut inventé par Dubuffet, est, avant tout, personnel. Professionnellement exécuté dans son atelier et non pas à l’hôpital. La rétrospective Corinne Deville se compose d’une centaine de peintures et de quatre sculptures historiant les deux espaces du musée. La commissaire de l’exposition, Anne-Marie Dubois, et sa commissaire associée, Margaux Pisteur, ont regroupé les œuvres par thèmes signifiants plutôt que par dates.

Créatrice de mondes

Née dans une famille d’industriels des Ardennes qui aimaient et pratiquaient la peinture, épouse d’un entrepreneur et homme politique d’illustre lignée, Jean Taittinger, l’artiste se passionna toute sa vie pour la littérature, à commencer, naturellement, par les écrits du poète de l’étape, Arthur Rimbaud, dont elle voulut sans doute traduire à sa façon les voyages et les visions. Dans un entretien avec Anne-Marie Dubois, Virginie d’Épenoux, la sœur de l’artiste, l’évoque en ces termes :  “Elle se mettait au travail en général le matin. Et puis elle lisait beaucoup, au moins trois ou quatre livres par semaine, qu’elle assimilait parfaitement bien. Elle était passionnée par Simenon, elle connaissait par cœur son œuvre (…). Sur le plan artistique, elle aimait certains artistes, par exemple Niki de Saint Phalle et Tinguely.” Certains tableaux peuvent nous faire penser aussi à ceux du peintre géorgien Niko Pirosmani (les aspects sombres ou fantastiques en moins) ou aux dessins fluides et aux aplats saturés de couleur d’un Gaston Chaissac… 

Les commissaires de l’exposition ont distribué les œuvres et les périodes en cinq sections distinctes, subjectivement intitulées : Mes personnages, Le Tour du monde, Bestiaire et métamorphoses, Toutes mes maisons, La Paix retrouvée. Margaux Pisteur caractérise comme suit le style de l’artiste : “Si le cadre est systématiquement le premier chaînon dessiné par Corinne Deville, l’organisation du tableau apparaît presque toujours déployée autour d’un élément central, qu’il soit figure principale, humaine ou animale, habitat ou habitacle”. Parlant des dernières années de la vie de Corinne Deville, Anne-Marie Dubois précise dans le catalogue : “Les œuvres sont parfois très différentes sur le plan de la composition : les couleurs sont plus douces, les aplats sont plus rares et les personnages de plus en plus nombreux. En même temps, ces images apaisées, voire idéalisées, sont parfaitement en accord sur le fond avec son cheminement artistique.”

Visuel : Corinne Deville, La P… et la concupiscence, 1998, coll. privée, photo Nicolas Villodre.

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