
A Libération, démission de Nicolas Demorand « pour qu’un dialogue reprenne »
Directeur, avec Philippe Nicolas, du quotidien Libération depuis près de trois ans, le journaliste a annoncé ce matin qu’il voulait démissionner, du fait des « tensions qu’il cristallise » dans la crise que traverse actuellement le journal, mettant en opposition sa rédaction et ses actionnaires.
« J’estime qu’il est de ma responsabilité de patron de redonner des marges de manœuvre et de négociation aux différentes parties » explique Nicolas Demorand, interrogé par Le Monde. « J’espère que mon départ permettra aux uns et aux autres de retrouver la voie du dialogue. » Il lui a beaucoup été reproché, au sein de la rédaction, d’être « absent du journal » au cours de sa direction. Il répond : « J’ai découvert, en arrivant, que mon boulot serait de chercher de l’argent tous les jours. Donc ça a été l’essentiel de mon activité et c’est très chronophage. » Il a surtout tâché, également, d’entraîner le quotidien vers le virage informatique. Ce qui ne s’est pas passé sans heurts.
Selon « France Info » et Le Monde, Libération a enregistré la plus forte baisse de ventes -15%- parmi les quotidiens français en 2013. Et ses recettes publicitaires ne sont plus suffisantes. Dès novembre 2013, une Assemblée générale a eu lieu. Elle a déclenché une crise au sein de l’entreprise. « Les salariés de Libération » racontent, sur le site du journal, que la direction leur a fait les propositions suivantes : en terme de développement, « un paywall – mur payant – pour “Liberation.fr“, et de la vidéo, conçue par les étudiants d’une école de journalisme non conventionnée par la profession » ; et, « côté économies , des baisses de salaire -jusqu’à 15% pour les plus hauts- sur la base du volontariat, du temps partiel, des départs à la retraite, un bouclage plus tôt -à 20 heures- et un déménagement ». Au total, « 4 millions d’euros d’économies ». Le départ de la direction fut donc demandé, à 89,9%, par la rédaction, « afin de rendre possible la mise en place d’un vrai projet de développement de cette entreprise et d’un plan d’économie légal et crédible ».
Un projet de développement est précisé ensuite par les actionnaires dans une lettre envoyée le 7 février, jour de grève au journal. « Il inscrirait Libération, non plus comme un seul éditeur de presse papier, mais comme un réseau social, créateur de contenus, monétisable sur une large palette de supports multimédias (print, vidéo, TV, digital, forums, événements, radio, etc.). » De plus, pour « maintenir […] la rue Béranger, siège historique du journal », un « espace culturel et de conférences » serait créé, « comportant un plateau télé, un studio radio, une newsroom digital, un restaurant, un bar, un incubateur de start-up ». « Le tout entièrement dédié à Libération et à son univers. » Tollé général de la rédaction quant à ces propositions : elle réclame « un vrai plan de développement, qui passe par une restructuration pérenne de l’entreprise, et un projet éditorial ambitieux qui réponde aux attentes de ses lecteurs ».
L’affrontement entre rédaction et actionnariat se trouve actuellement dans une situation de blocage. Nicolas Demorand, dans Le Monde, estime : « Il faut redéployer une partie de l’énergie sur tous les supports [de Libération] : print, Web, événements. C’est là que les choses se bloquent, car des cultures professionnelles et des pratiques du journalisme tel qu’il doit être aujourd’hui entrent en conflit. » Pour lui, « les activités périphériques [auraient été] au service de la production de journalisme de qualité ». Le journal devait acquérir « de très forts relais de croissance pour […] poursuivre sa route ». La rédaction jugeait qu’en tant que directeur, il faisait surtout le jeu des actionnaires, et que la conversion vers les formats informatiques était impossible sans investissement fort.
« Le 7 février, une majorité de journalistes a décidé de censurer un de mes textes qui défendait l’impérieuse nécessité de se battre pour un Libé fort. » La rupture avec la rédaction, puis la décision de démissionner lui sont alors apparues évidentes. Reste à savoir, du même coup, si un accord pourra être trouvé entre actionnaires qui souhaitent mettre en avant « la puissance de la marque Libération, sa légitimité historique et graphique unique dans l’histoire de la presse française, et peut-être mondiale », et les salariés, importants en nombre, qui désirent « rester des journalistes ».
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