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Marie Noble, Commissaire générale de la Foire du Livre de Bruxelles : Parce que « les livres ont une incidence sur nos vies en dehors des pages »

Marie Noble, Commissaire générale de la Foire du Livre de Bruxelles : Parce que « les livres ont une incidence sur nos vies en dehors des pages »

23 March 2020 | PAR Sylvia Botella

 

 

Au temps du coronavirus, et du confinement, nous n’avons jamais autant déclaré notre amour aux livres. Comment expliquer notre intérêt revivifié ? Pour y répondre, nous avons interrogé Marie Noble, la nouvelle commissaire générale de la Foire du Livre de Bruxelles. Dans le sillage du travail époustouflant accompli par son prédécesseur Gregory Laurent, elle nous livre également ses intuitions sur ce que pourrait être la Foire du Livre de Bruxelles du XXIème siècle.

 

Vous êtes la nouvelle commissaire de la Foire du Livre de Bruxelles, comment définiriez-vous votre rapport avec les livres ? 

Je reprendrai à dessein la définition du rôle l’écrivain de l’historienne et philosophe française Mona Ozouf. Qu’est-ce qu’elle nous dit en substance ? L’écrivain est précieux parce qu’il est conscient qu’il n’a qu’une vie à vivre. Il nous fait connaître des villes où nous n’irons jamais, il nous fait rencontrer des êtres que nous ne rencontrerons jamais. L’écrivain opère étonnement une sorte de magie capable de transformer notre existence étroite : il fait d’elle un réservoir à saveurs et couleurs. Et de nous, des êtres doués d’ubiquité, capables d’être présents en tout lieu simultanément. La vie n’est alors plus seulement du temps individuel, elle se fixe sur des visages, d’autres moments de vies attestant d’une communauté de destin. C’est la raison pour laquelle les livres m’intéressent. Ils nous instruisent sans nous détruire ! Les livres ont une incidence sur nos vies en dehors des pages.

 

Que ce soit à Mons 2015, à Bozar, au sein du collectif La Station ou au Picture Festival, vous avez toujours nourri l’ambition de mêler création, urbanité et interrelations, y compris dans leurs retranchements. Est-ce votre ambition aussi pour la Foire du Livre de Bruxelles ?

Absolument. C’est ce qui m’anime depuis une vingtaine d’années. La culture – sans placer ce mot en premier car il peut sembler « arrogant » et faire peur -,  c’est avoir les yeux grands ouverts, aller en deça des murs, emprunter et faire l’expérience d’autres chemins qui ne se limitent pas à une seule discipline artistique mais qui, au contraire, en mêlent plusieurs. Autrement dit, activer des rencontres qui sont, à la fois, transdisciplinaires et transsectorielles ; celles qui permettent par exemple aux scientifiques de dialoguer avec les artistes ou aux artistes de dialoguer avec les économistes dans un but mélioriste. Toujours est-il qu’il m’importe de travailler de la manière la plus ouverte possible ensemble.

 

Votre approche a toujours été résolument qualitative. Peut-être pour déjouer le piège contemporain de la créativité qui, en assignant la création, en la capturant dans un processus de production économique et de plus-value, bloque ses potentialités. Il est là précisément le défi de la Foire du Livre de Bruxelles du XXIème siècle ?!

Certes, la création doit être au cœur du dispositif. Mais il faut garder en tête l’enjeu économique d’un milieu bien spécifique – l’interprofessionnel  autour du livre et de la lecture – et la mission de promotion de la Foire du Livre de Bruxelles. Chaque partie prenante autour de la table – à savoir les  éditeurs, les diffuseurs, les auteur.trice.s – attend des retours sur investissements. Il est important de prendre la juste mesure de la dimension économique du livre. Après, il faut pouvoir laisser le champ libre aux auteur.trice.s et, à la création et ses possibles. Il y a là précisément un véritable territoire à investir en imaginant des formats innovants, conciliant création, promotion et mission de l’asbl. La promotion  peut passer par davantage d’inventivité. 

 

Avez-vous déjà des intuitions ? 

À ce jour, je préfère effectivement parler plus d’intuitions que de certitudes. Parce que cela fait peu de temps que je travaille à la Foire du Livre de Bruxelles. Et surtout parce que j’aimerais créer une vision sans surplomb. Autrement dit, développer une vision concertée avec l’équipe de la foire et la partager avec les éditeurs, les auteur.trice.s, les libraires, les bibliothécaires. Premièrement, il me semble fondamental que nous clarifions la mission, l’adn ainsi que le positionnement  de la Foire du Livre de Bruxelles par à rapport à son environnement concurrentiel. Elle doit être en mesure d’avoir une existence propre (ou revendiquer sa singularité). En ce sens, je voudrais plus d’Europe et plus de monde. Nous avons la chance d’habiter, après Dubaï, le territoire le plus multiculturel au monde : 184 nationalités et autant de langues et de littératures. La foire ne doit pas se limiter à l’espace francophone en terme de propositions ou de marché des droits – ici, je grossis volontairement le trait. Bruxelles est une ville ultra connectée autant pour les professionnels que pour les publics. Il est bon de l’acter. Deuxièmement, il faut sortir des murs de Tour & Taxis. Bon nombre d’opérateurs et acteurs culturels bruxellois et belges seraient intéressés de jour la carte de la « Semaine du Livre » ou pourquoi pas du « Mois du Livre ». Ils pourraient être des relais (ou satellites) magnifiques, en imaginant d’autres liens, d’autres contrechamps plus intimes. Troisièmement, comme j’ai pu l’expérimenter dans mes fonctions précédentes, il serait formidable de s’attarder sur la dimension transdisciplinaire de la lecture par le prisme de la musique, du théâtre, de la poésie ou de la gastronomie. Et inventer des voyages du livre ! 

 

Au temps du coronavirus, et du confinement, on n’a jamais vu fleurir autant de déclarations d’amour aux livres. Comment expliquez-vous cet intérêt revivifié ?

Au même titre qu’écouter de la musique, lire un livre, c’est accomplir un voyage mental dans le temps, l’espace. Et c’est d’autant plus vital actuellement que nous sommes « confinés ». Les déclarations d’amour que nous faisons aux livres, doivent être envisagées à l’aune de notre furieux désir de liberté : continuons de voyager dans nos imaginaires ! La littérature nous permet également de mettre des mots sur ce que nous ressentons et que nous ne sommes pas toujours capables de formuler. Que ce soit l’amour, la tristesse ou la colère. Aujourd’hui, nous vivons une situation inédite. Pourquoi ne pas aller puiser ce qui peut nous rassurer, nous caresser, chez celles et ceux qui écrivent ?!

 

Si vous deviez emporter un seul livre dans votre confinement, quel serait-il ?

Je relirais le roman Confiteor de Jaume Cabré. Parce qu’il révolutionne toutes les lois de la narration. C’est un ovni littéraire où chaque élément est mis en lien avec d’autres éléments – musicaux, historiques ou intimes – pour que puisse apparaître devant nos yeux une réponse de beauté et de connaissance au mal absolu qui traverse les siècles et ne laisse personne indemne. Et pour nous, aujourd’hui, le mal absolu, c’est le coronavirus. 

Visuel : crédit DEBBY TERMONIA

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