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Louvre Abu Dhabi : nouveau rebondissement dans l’enquête sur le vaste trafic international d’antiquités

Louvre Abu Dhabi : nouveau rebondissement dans l’enquête sur le vaste trafic international d’antiquités

30 July 2022 | PAR Jane Sebbar

Nouveau rebondissement dans l’affaire du trafic international d’antiquités. À la suite de la mise en examen, en mai dernier, de l’ancien président du Louvre Abu Dhabi, dans l’affaire des sept objets égyptiens de provenance illicite, Jean-François Charnier, son bras droit au sein de l’agence France Muséums, a été placé en garde à vue lundi 25 juillet. Avec Noëmi Daucé, ancienne collaboratrice de l’archéologue, ils sont soupçonnés d’avoir favorisé la vente de pièces égyptiennes au musée émirati malgré des alertes sur leur provenance.

Ce sont six virements reçus entre 2016 et 2018 sur un compte émirati par Jean-François Charnier, ancien directeur scientifique de l’Agence France Muséums qui conseille le Louvre Abu Dhabi sur la politique d’acquisition depuis 2007 qui ont suscité les soupçons. Ces virements totalisant la somme de 110 000 euros ont été envoyés par une mystérieuse galerie d’art bruxelloise, qui serait contrôlée par deux marchands suisses à la réputation sulfureuse, les frères Ali et Hucham Aboutaam, selon des documents de la police judiciaire belge. Les deux frangins ont vendu plusieurs oeuvres au Louvre Abu Dhabi par l’entremise de Jean-François Charnier. Des objets d’arts, parmi lesquels deux sarcophages phéniciens acquis par le musée émirien pour 10,8 millions d’euros, malgré des doutes sur leur provenance et des documents parcellaires … 

L’enquête continue. Après la mise en examen en mai 2022 de l’ancien président du Louvre (2013-2021) Jean-Luc Martinez, l’affaire connaît un nouveau rebondissement. Au coeur des accusations : l’achat de plusieurs pièces égyptiennes par l’intermédiaire de l’expert en archéologie méditerranéenne, Christophe Kunicki, déjà mis en examen dans ce dossier pour “escroquerie en bande organisée”. L’enquête qui se poursuit révèle que plusieurs de ces pièces avaient été écoulées grâce à des documents falsifiés, en particulier des fausses factures.

Également placée en garde à vue lundi, l’ancienne collaboratrice de Jean-François Charnier qui lui a succédé à la tête de la direction scientifique de l’Agence France Muséums, la conservatrice Noëmi Daucé, est ressortie libre mercredi soir sans avoir été présentée devant le juge d’instruction.

Jean-Luc Martinez sous contrôle judiciaire

L’enquête commence avec une stèle. En granit rose, recouverte de hiéroglyphes, frappée du sceau royal de Toutânkhamon, le onzième pharaon de la XVIIIe dynastie de l’Egypte antique. Elle est exposée au Louvre Abu Dhabi. Le certificat incohérent de l’objet d’art permet d’avancer qu’il aurait été pillé. En mai 2022, le juge d’instruction Jean-Michel Gentil ouvre une enquête, cherchant à savoir si l’ancien président du Louvre aurait “fermé les yeux” sur de faux certificats d’origine de cinq pièces d’antiquité égyptiennes. Le 23 mai, il est placé en garde à vue puis, le 25 mai, il est mis en examen, pour des faits de “blanchiment” et “complicité d’escroquerie en bande organisée”. L’ex-président du Louvre nie toute implication dans un trafic illégal. Il conteste les faits “avec la plus grande fermeté”. Il est rapidement relaxé mais reste sous contrôle judiciaire. 

La France instaure une mission d’évaluation 

Le 3 juin 2022, le ministère de la Culture annonce une mission d’évaluation des procédures d’acquisition des biens culturels. 3 personnalités expérimentées du monde du marché de l’art (Arnaud Oseredczuk, Marie-Christine Labourdette, Christian Giacomotto) sont sollicitées pour faire le point sur le cadre juridique, les procédures d’acquisition et leur mise en oeuvre à l’époque des faits. Appuyés par l’Inspection générale des affaires culturelles, ils devront tous trois rendre leurs conclusions et formuler leurs recommandations à l’été 2022, précise le ministère. 

Un commerce devenu massif 

Cette nouvelle mise en examen s’inscrit dans une affaire tentaculaire impliquant pilleurs, marchands, galeristes, maisons de ventes et même deux des plus grands musées internationaux, le Louvre Abou Dhabi et le Metropolitan Museum of Art (Met) de New York, contraint de restituer à l’Egypte en septembre 2019 un autre sarcophage acquis par l’intermédiaire de Christophe Kunicki. Après plus de quatre ans d’investigation, le juge d’instruction Jean Michel Gentil a déjà mis en examen plusieurs acteurs présumés de ce trafic, dont la société de ventes aux enchères Pierre Bergé. 

Dans de nombreux pays marqués par l’instabilité politique et la corruption comme l’Irak, la Syrie ou l’Egypte, certains sites archéologiques sont devenus de “véritables supermarchés à ciel ouvert”, selon Vincent Michel, professeur d’archéologie de l’Orient à l’université de Poitiers. Cet expert dans la lutte contre le trafic illicite des biens culturels décrit un circuit sophistiqué : depuis les pays sources, via des pays de transit (Asie, pays du Golfe, Israël et Liban) vers des pays de destination (mondes anglo-saxon et européen mais aussi de plus en plus Russie, Japon, Chine ou pays du Golfe) qui abritent les acheteurs et les musées. “Ce trafic, né des fouilles clandestines et aggravé par la paupérisation, croît depuis les Printemps arabes de 2011″, souligne le spécialiste. 

 Une ingéniosité incroyable

Selon Xavier Delestre, conservateur régional de l’archéologie à la Direction régionale des affaires culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur, les objets d’art au coeur des trafics sont des “oeuvres d’art de très haute valeur marchande qui vont échouer dans les ports francs et réapparaître avec une fausse histoire, puis être réintégrées dans le marché licite; ou d’objets de moindre valeur circulant en masse à partir des réseaux sociaux vers des sites de vente en ligne”.

Les faussaires sont d’une “ingéniosité incroyable pour blanchir les objets pillés en mélangeant les informations fausses et vraies, inventant des pedigrees, fabriquant de faux documents d’exportation ou factures d’achat, afin de masquer l’origine illicite”, précise Vincent Michel. Une fois réintroduit dans le marché légal, “un objet pillé est presque indétectable”. Il déplore “une atteinte au patrimoine irréversible car un objet pillé, sorti de son contexte, perd toute valeur scientifique”. L’émergence de l’e-commerce a aggravé le phénomène en raison de “l’anonymat”, de “la multiplication des sites de vente” et de la “faculté d’adaptation” des trafiquants. 

Visuel : © Louvre Abu Dhabi inauguration 2017 wikicommons

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Jane Sebbar

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