
Niki de Saint Phalle aux Abattoirs : réenchanter le monde par l’art
C’est l’exposition-événement de cet hiver à Toulouse, dans son musée d’art contemporain. Niki de Saint-Phalle : Les années 1980 et 1990 : l’art en liberté, explore les deux dernières décennies de l’œuvre de l’artiste franco-américaine et féministe parmi les plus emblématiques du XXème siècle.
Un nouveau regard posé sur Saint Phalle
Depuis le 7 octobre 2023 et ce jusqu’au 5 mars 2023, la Frac toulousaine consacre une rétrospective de l’artiste connue pour ses sculptures imposantes dans l’espace public. En plus de 200 œuvres, l’exposition dévoile un pan de son travail plus occulté, parfois surnommé “la deuxième partie de son œuvre” – là où de Saint Phalle est d’ordinaire valorisée pour ses tirs ou ses nanas démesurées des années 1960 et 1970. L’ambitieux commissariat d’exposition est mené par Annabelle Ténèze – à la direction des Abattoirs, aux côtés de Lucie Pesapane et de Pascal Rodriguez à la scénographie.
“ Ma passion est d’apporter, par mon art, quelques moments de joie aux autres. ”
Le parcours débute en 1978, année de départ de l’élaboration du jardin des Tarots en Italie. Il suffit tout de même à rendre compte de la complexité et richesse d’un travail de plasticienne, designeuse et performeuse, parfois écrivaine. En n’oubliant pas sa genèse et son parcours : car passé intime et artistique s’entremêlent pour venir nourrir son oeuvre tardive, jusqu’à son décès en 2002. L’exposition met en lumière ses engagements, son rêve de répandre l’art partout, son obsession des couleurs, des rondeurs et de la matière.
Une exposition dynamique et joyeuse
Ainsi s’invitent les couleurs chatoyantes ; miroitements, joie enfantine, formes serpentueuses et sensuelles, mosaïques, un sens du grandiose mêlé au goût pour les petits bonheurs, les petits objets. Car on ne retrouve pas seulement ses sculptures ; aussi ses meubles, objets de design et du quotidien, dont un parfum dont elle conceptualise la bouteille – vendu pour financer son Jardin des Tarots. Ces deux décennies dénotent d’un intérêt plus prononcé pour un certain bestiaire, multipliant la représentation des animaux. En particulier de son animal-totem, le serpent, autre fil conducteur de la visite.
L’exposition fournit une documentation étoffée par une salle pédagogique au sous-sol, des photographies de l’artiste, ses lithographies, dessins préparatoires retraçant le développement de ses projets. Le public est accueilli dès la grande nef, sa salle principale, par un rideau de nanas gonflables et son monumental “monstre du Loch Ness” (1993) brillant de mille feux, aux côtés de ses totems géants. Ils témoignent par ailleurs du souci du détail chez cette artiste obsessionnelle, capable d’alterner les matières et motifs sur une même œuvre.
On découvre plus loin ses skinnies, figures sculptées creuses et filiformes, nées du besoin de l’artiste d’air, atteinte d’une maladie respiratoire causée par son travail. Une autre partie est dédiée à la création de ce jardin des Tarots installé en Toscane, qui lui a demandé vingt ans de travaux – avec la participation de son mari Jean Tinguely et de toute une équipe. Il fut inspiré par l’esthétique du Parc Güell de Gaudí et du Palais Idéal du Facteur Cheval. L’espace recrée le jeu des vingt-deux cartes, prenant vie au musée avec une documentation photographique des travaux, des sculptures, maquettes, lithographies de l’artiste. Chaque arcane est une architecture allégorique : la Roue de la fortune, le Magicien, un Oracle, le Prophète, la Papesse, cohabitant avec des créatures fantastiques. L’artiste a logé plusieurs années dans l’impératrice.
Une engagée avant-gardiste
C’est un axe central de la scénographie, de ces décennies. On la connaît pour l’encouragement de la liberté artistique des femmes. Faisant l’éloge de leur puissance, de leur créativité, de leurs corps et sexualités. Elle fut ainsi une féministe prophétrice, à l’avant-garde (comme les théoriciennes féministes de son époque) concernant les thématiques liées aux violences. Intrafamiliales comme l’inceste, mais plus largement sur les violences sexuelles, les violences physiques et psychologiques, sur lesquelles elle “tire”. Dans une salle où elle se raconte (“Ecriture de soi”) elle livre son fameux “secret”, court livre illustré que les commissaires ont fait le choix d’afficher en son entier (“Mon secret”, 1994). Elle y relate tardivement le viol que lui a fait subir son père à ses onze ans, qui donne une lecture nouvelle à tout son art, né du désir de dépasser cet évènement, annonciateur de sa sensibilité aux “injustices” de ce monde.
“ Mon art me permettrait de me montrer sans masque”
Aussi, elle revendique son écoféminisme dès les années 1970 – un terme alors peu connu, créé par Françoise d’Eaubonne. En somme, elle prônait l’indépendance matérielle et intellectuelle – déjà en tant que créatrice libre qui finançait de manière indépendante ses projets – ainsi que la liberté sexuelle, visible dans son engagement pour la cause du Sida (création d’affiches, de livres de sensibilisation, films) visant à renseigner sur le virus et les modes de protection, célébrant avec ses phallus colorés sculptés une sexualité saine et épanouie. La thématique de l’avortement lui tenait aussi à cœur, outre le sujet de la légalisation outrancière du port d’armes sous Bush alors qu’elle réside aux Etats-Unis. En artiste en phase avec son temps, elle est aussi engagée sur les questions liées au racisme, célèbre les personnes de couleur avec ses black heroes. Elle “tire” sur le patriarcat, le capitalisme.
Pourtant, avec tous ces sujets et son propre bagage psychologique traumatique, qui auraient pu faire d’elle selon ses termes une “terroriste”, c’est la lumière et non la noirceur qu’elle a décidé de répandre. L’art a ainsi été sa nouvelle peau, sa mue, à l’image de ses serpents.
D’autres évènements liés à l’exposition sont attendus en 2023 : une conférence est prévue ce 19 janvier sur le “ Jardin des Tarots “, mené par Catherine Francblin, dans le cadre du cycle « Niki de Saint Phalle : l’Art en liberté ».
Musée Frac Occitanie Toulouse, 76 All. Charles de Fitte, 31300 Toulouse Haute-Garonne.
Ouvert du mercredi au dimanche, de 12h à 18h. Plus d’informations ici.
Visuels :
Vue de l’exposition “Niki de Saint Phalle. Les années 1980 et 1990 : l’art en liberté”, aux Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse © Niki Charitable Art Foundation / Adagp © photo Boris Conte
Vue de l’exposition “Niki de Saint Phalle. Les années 1980 et 1990 : l’art en liberté”, aux Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse © Niki Charitable Art Foundation / Adagp © photo Boris Conte
Niki de Saint Phalle dans un de ses fauteuils d’artiste. Montage de sa rétrospective au Centre Pompidou, 1980. © Niki Charitable Art Foundation. © Photo Leonardo Bezzola