
“France” : Bruno Dumont sublime Léa Seydoux mais rate son allégorie
Vu en compétition en Cannes, le nouveau film du dérangeant Bruno Dumont sort sur nos écrans. Superbe, Léa Seydoux y incarne une journaliste star, sans surmoi, ni ancrage… Une allégorie qui voudrait en dire long sur le pays portant aux nues un tel monstre mais que le gloss glacé pétrifie dans son élan.
Reporter sans cœur et sans triomphe
Teint parfaitement pâle, blondeur travaillée, bouche rouge et audace oscillant entre enfance et pugnacité, Léa Seydoux est donc (la) France dans le nouveau film de Bruno Dumont. On la rencontre assistée de sa vulgaire et bête seconde (Blanche Gardin, parfaite) alors qu’elle se prépare à aller poser “la question qui tue” au Président de la République à l’Assemblée Nationale. Dans une vie plus ordinaire, la petite fiancée des français présente une émission “politique” engagée sur une chaîne dont elle fait exploser l’audience et elle fait un saut de puce dans une zone en guerre par semaine pour se faire filmer en « reportage » par son cameraman « Lolo ». Après avoir été bien mise en scène devant des décombres ou des enfants bombardés, elle invite deux spécialistes si gris et tellement pas d’accord qu’on ne retient que les images d’elle, à parler d’un état du monde. En privé, elle est à peine présente pour son mari (Biolay) et son fils… Mais mêmes les monstres ont un talon d’Achille. Malmenée, sujette à un mini-chagrin d’amour “France” entre en dépression : Va-t-elle tenir la tension et rester “pro” ? En tout cas sa moue triste et ses larmes semblent renforcer le coté télégénique…
Une mise en scène soignée ne sauve pas le film de la vacuité qu’il voudrait montrer
Fuchsia et léché comme sur une version réussie d’une chaîne télé de Mussolini, les costumes sont canons. On adore découvrir Léa Seydoux maquillée comme une voiture volée et enfiler avec affectation gilet pare-balle et voile pour aller caracoler au centre d’une image qui montre la terreur et la misère de l’humanité. Comme chez Warhol, l’icône est d’autant plus vide est monstrueuse qu’elle est belle, avec un casting intelligent et – il faut le dire – une focalisation sur le sujet : Rester sur la journaliste “France” pour tenter d’en dire plus sur la manière dont fonctionne l’espace public dans la République “France”. Le hic est que le vide du personnage semble embrasser tout le film, jusqu’à ses capacités de susciter des réflexions ou mêmes des réactions. France est narcissique, on s’en fiche, France n’a pas de Surmoi, nous avons été prévenus, France pleure, elle est belle et c’est joli et on n’est pas du tout désolée pour elle… Bref, on assiste au spectacle comme si la scénographie ne portait absolument aucun message en se laissant glisser dans les belles images, surfant sur les états répétitifs du joli minois de Léa Seydoux. Ce que Dumont réussissait avec d’autres femmes symboliques (Camille Claudel, Jeanne d’Arc), même inspiré de Charles Peguy (Par un demi clair matin est la source du film) il le manque totalement avec son portrait de femme de médias et de pouvoir. On oublie tout de France, aussi vite qu’on s’était laissés glisser à ses accessoires léchés. Dès lors l’allégorie manque son objectif et toute l’ironie semble devenir lettre morte. Bonne nuit, belle et insipide France…
France, de Bruno Dumont, avec Léa Seydoux, Blanche Gardin, Benjamin Biolay, France, 134 min, sortie le 25 août 2021.
visuel (c) affiche ARP selection