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[Biennale de la Danse] Le féminisme de Mascarell et les tourbillons de Sciarroni
En guise de programme d’ouverture de la Biennale de la Danse, qui se tient à Lyon et dans sa région jusqu’au 30 septembre, l’Opéra (écrin de métal noir créé par Jean Nouvel) accueille un double programme qui apparaît comme un polaroid de deux définitions contraires du verbe « danser »
Le Diable bat sa femme et marie sa fille : Le féminisme beaucoup trop lisse de Marina Mascarell
Le plateau est ceint par des murs emplis de ballons transparents gonflés à bloc. L’idée est belle, ces panneaux rebondis devenant les supports à des projections de lèvres, de yeux, de corps. Sur le fond l’idée est parfaite : faire danser les permanences et les ancrages de la misogynie. Mais, dans la réalisation cela sonne plat.
Les danseurs vêtus de tuniques légères rappelant les chemises de nuit portées par les enfants vont s’enserrer dans une boucle. Dans une farandole lyrique où les courbes, les torsions et les volutes sont reines, ils dansent en contresens du propos. Le récit pointe par le biais de témoignages les humiliations inhérentes au fait d’être une fille (L’une raconte ses pleurs quand sa mère la déguisait en robe l’empêchant de courir avec les garçons, une danseuse raconte comment son mal de dos ne pouvait pas être considéré comme un accident du travail, car les femmes ne soulèvent rien de lourd…).
Ces récits sont des bribes d’autant plus saisissantes qu’elles trouvent naissance dans le presque rien, dans le vide du quotidien. La traduction dansée devrait être un cri mais au contraire, la chorégraphie les pousse au joli et à la légèreté. Même quand les portés se font rapides, faisant voler une danseuse comme pour la faire décoller, cela apparaît comme une recherche d’une esthétique très ancrée dans le style figuratif d’un Angelin Preljocaj. Elle fait l’erreur d’accumuler les informations : vidéo/ danse/ musique qui aucune ne se va dans la même direction. La phrase est répétée mais sans violence : une ligne circulaire dont un interprète s’extrait jusqu’à se confronter seul au groupe, au regard des autres. Dommage.
Turning_motion sickness version, le tourbillon génial d’Alessandro Sciarroni
C’était la grande interrogation. Qu’est ce que le chorégraphe italien, amoureux des performances extrêmes (Pour Folk’s , le spectacle s’arrêtait faute de combattants, pour Untitled, il mettait ses jongleurs en péril, récemment, il faisait jouer des aveugles au goalball dans Aurora), allait pouvoir travailler avec la formation classique des danseurs de l’Opéra de Lyon. Bien sûr, ces interprètes géniaux ont eux l’habitude, ils sont même passés entre les mains de François Chaignaud et Cécilia Bengolea qui avaient fait « Twerker » leurs confrères du Ballet de Lorraine.
Sciarroni part d’une idée simple qui ressemble beaucoup (sans aucun plagiat) à celle que Jérôme Bel applique dans Gala : tout le monde tourne. Les enfants, naturellement dès qu’il le peuvent font des pirouettes. Mais que signifie tourner ? En rond, sur soi, sur place ? Ce mouvement intense est le synonyme d’une impossibilité à avancer, il s’oppose à la marche. L’inspiration de ce spectacle lui vient des exils qui en ce moment traversent l’Europe. Justement, il y a ces refus aux frontières, ces morts abjectes, tout ce qui fait que « ça n’avance pas ».
Alors, dans un espace blanc rempli par la lumière englobante et froide de Sébastien Lefévre, les dix danseurs habillés sports, tous différents nous regardent fixement, comme pour nous défier puis il vont commencer à tourner, à tourner, à tourner. Cela provoque des courbes, des lignes mais jamais de chute. La tension est magistrale ici, la direction impeccable. Eux ne chavirent pas et au son de la musique au beat de plus en plus techno, ils accélèrent comme des morts de faim. L’enjeu et de passer justement du tour à la pirouette, de revenir à l’académisme pour s’en libérer.
C’était audacieux et osé de la part de Yorgos Lokos de programmer cette forme très performative en ouverture de saison. La pièce a mis du temps à faire silence pour s’imposer en triomphe et en une standing ovation extrêmement méritée.
Visuels :
©MICHEL CAVALCA (Alessandro Sciarroni)
©CHRISTIAN GANET (Marina Mascarell)