
Brooklyn de Colm Toibin: un roman initiatique au féminin
Ecrivain et journaliste irlandais, Colm Toibin a écrit de nombreux ouvrages de fictions et d’essais pour lesquels il a reçu plusieurs prix littéraires. Il obtint le prix de l’Irish Times Irish Litterature pour son premier roman paru en 1990, The South. Brooklyn, paru en 2009, vient d’être réédité en format poche chez 10/18. L’occasion pour nous de revenir sur ce roman initiatique qui raconte l’immigration massive des Irlandais vers l’Amérique des années 50.
Eilis Lacey est une jeune irlandaise vivant dans la petite ville d’ Enniscorthy, au sud du pays. Elle y mène une vie plus que tranquille entre sa mère et son petit travail précaire à l’épicerie du coin. Rien de transcendant dans cette Irlande d’après guerre qui ne laisse que peu d’espoir à sa jeunesse. L’avenir semble tout tracé pour la jeune fille mais c’est sans compter la volonté et le caractère flamboyant de Rose, sa sœur ainée. Refusant de voir Eilis suivre le même chemin que leur mère, elle décide d’organiser son départ vers l’Amérique. Sans vraiment lui demander son avis, voici que la chose est décidée : Eilis partira à Brooklyn pour travailler comme vendeuse dans un grand magasin. Grâce au réseau irlandais déjà sur place, la jeune femme voit son avenir pris en charge par une communauté soudée représentée par le respectable père Flood.
Arrachée aux siens sans cérémonie, traversant l’océan en pleine tempête, la jeune Eilis va se retrouver plongée au cœur d’une ville étouffante et va se confronter violemment à l’anonymat des grandes villes. Découvrant la solitude des étrangers en pays inconnu, Eilis va devoir s’adapter: au travail épuisant, aux conventions sociales, à la vie en communauté chez Mme Kehoe, la logeuse. Elle découvre aussi les bals du samedi soir, le swing et l’élégance des jeunes américaines. Mais le mal du pays est un lourd fardeau. Oscillant entre cette nouvelle vie et ses souvenirs d’Enniscorthy, la jeune fille va apprendre que le passage à l’âge adulte est parfois parsemé de désillusions. Un événement inattendu en Irlande va l’obliger à repartir pour un temps auprès des siens. Mais comment retourner si loin en arrière ? Comment faire le lien entre deux univers si éloignés ?
Ce roman initiatique trouve sa force dans le caractère de son héroïne. Discrète mais déterminée, conciliante mais indépendante, Eilis se découvre une jeune femme moderne assumant naturellement ses envies et prenant ses propres décisions. Car même si ce bel italien rencontré au bal et fou d’elle veut l’épouser, elle attendra d’être sûre de ses sentiments, décidant elle-même de son avenir. Elle représente finalement le passage entre deux générations, celle de sa mère et celle que les années 60 vont immortaliser : une génération de femmes encore dévouées au foyer mais qui entament judicieusement leur émancipation.
Colm Toibin s’immisce avec talent dans les errances de son personnage. Sans caricaturer cette jeune Irlandaise sortant de sa campagne et découvrant le monde, il donne à Eilis une profondeur et une intelligence innées qui en font une femme attachante, surprenante et troublante de vérité. Sans jamais la décrire physiquement, il en fait un symbole universel de femme moderne.
Brooklyn de Colm Toibin. Editions 10/18. Octobre 2012. 331p.
ISBN: 978-2-264-05648-1
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Eric Ingouf
Madame,
Vous avez là mis en valeur un roman qui le mérite grandement.
Colm Toibin est une valeur sure de la littérature irlandaise qui a en effet su se hisser à un niveau de valeurs universelles, dépassant ainsi le cadre étriqué de la simple défense de la tradition catholique irlandaise ou de l’héritage du nationalisme irlandais. Son livre s’est aussi vendu comme des petits pains à Belfast, dans les quartiers protestants. Et bien au-delà.
Je l’utilise cette année en classe de Terminale pour illustrer le phénomène de l’émigration irlandaise aux Etats-Unis. L’approche pragmatique de l’auteur, éloignée de toute vue romantique sert magnifiquement mon propos.Dans Brooklyn, pas d’American Dream.
Le sujet est d’ailleurs toujours d’actualité puisque la jeunesse irlandaise continue de s’exiler pour vivre dignement.
Bien cordialement.
Eric Ingouf