Théâtre
Une romantique Médée par Tommy Milliot à La Criée

Une romantique Médée par Tommy Milliot à La Criée

08 October 2021 | PAR David Rofé-Sarfati

À La Criée de Marseille, le jeune metteur en scène Tommy Milliot fait jouer avec brio la tragédie de Sénèque, avec une remarquable interprétation de Bénédicte Cerutti dans le rôle-titre. 

Nous connaissons l’intrigue ; elle est noire. Elle est celle d’un mélodrame passionnel se déroulant dans une époque lointaine et, nous l’espérons, révolue où l’on se satisfaisait du meurtre par amour. Médée, une mère de famille passionnément amoureuse d’un mari, Jason, pour lequel elle a tout sacrifié, se voit abandonnée au profit d’une femme plus jeune et offrant à son mari un tout autre avenir social. Désespérée, furieuse, elle cherche à se venger. Elle fomentera une vengeance incroyable en assassinant les deux enfants du couple. 

La pièce de Sénèque consiste ainsi en une tragédie d’une noirceur absolue. Pour l’auteur grec, Médée n’est pas un monstre ni une victime ; elle est à la fois une justicière punissant l’homme qui a transgressé les frontières fixées par les dieux et une femme sans dieux, une Antigone appelant à la loi, une psychotique, dirions-nous aujourd’hui, refusant la réalité.

Un étrange #metoo christique.

Dans la pièce de Sénèque, le personnage principal, Médée, est caractérisé par des traits émotionnels bien précis. Médée est décrite comme une héroïne tragique, notamment à cause de son caractère. Elle est naïve et prête à tout pour son amour pour Jason, tout en étant psychologiquement faible, égarée,  n’ayant aucune maîtrise de son agressivité.

Chez Millot, Médée (admirable Bénédicte Cerutti) nous fait entendre des sentiments très contradictoires. Dans la traduction contemporaine de Florence Dupont,  la Médée de Sénèque crée le trouble. Cette femme répudiée rassemble ses forces et veut triompher du pouvoir des hommes. Médée, ici, se proclame victime. Tuant ses propres enfants, elle le demeure en devenant le monstre, sans sombrer dans la folie. Commettant un attentat (suicide ?), elle rend l’horreur inévitable donc acceptable.

Va témoigner partout où tu iras que les dieux n’existent pas.

L’expérience du spectateur est une messe dans la pénombre. Dans un décor “à la cathédrale”, les références religieuses s’accumulent : l’ablution des pieds, le coryphée qui, par haut-parleur suspendu dans les cintres, clame l’intrigue à la façon d’un deus ex machina, la posture victimaire et christique de Médée, proie de ce destin justement qui tombe des cintres. Et finalement, l’image d’une exécution d’enfants tenus debout, leur cou enserré, évoquant les décapitations des djihadistes qui encombrent nos espaces symboliques depuis 2001.   

L’infidélité de Jason n’est pas explorée. Le patriarcat ferait deux victimes : Jason, autant que Médée, est évacué. Seule une Médée qui renverse l’équation bourreau-victime intéresse le metteur en scène qui nous livre une pièce romantique au sens où s’y mêlent, dans une même proportion, le sacré et le morbide.

La pièce n’en reste pas moins un choc esthétique. Un jeu subtil sur le son et sur la lumière, une direction d’acteurs sans failles concourent au bouleversement du public. La pièce convaincra certains d’admettre la vengeance par le meurtre comme seule issue d’une Médée sacrificielle, et rendra légitime l’infanticide d’une femme victime du méprisable Jason.  Le spectateur de 2021 s’interrogera toutefois sur une Médée définitivement “hors Sénèque” excusant l’assassinat par le martyr religieux, tandis qu’il se régalera de l’interprétation de Bénédicte Cerutti.

 

Médée
Texte Sénèque
Traduction Florence Dupont
Mise en scène et scénographie Tommy Milliot
Avec Bénédicte Cerutti, Charlotte Clamens, Cyril Gueï, Miglen Mirtchev et un binôme d’enfants, en alternance, Pierre Clouté, Louis Michel, Alexandre Narboni-Guerut, Shahin Pulkowski, Swann Rogues De Fursac, Kais Sadmi-Soulage

Durée : 1h20

La Criée, Théâtre National de Marseille
du 23 septembre au 3 octobre 2021

Théâtre National de Nice
du 7 au 9 octobre

Liberté-Châteauvallon – Scène nationale, Toulon
les 13 et 14 octobre

Théâtre Durance – Scène conventionnée d’intérêt national art et création, Château-Arnoux-Saint-Auban
les 9 et 10 novembre

Théâtre d’Arles – Scène conventionnée d’intérêt national art et création
du 23 au 24 novembre

Les Célestins – Théâtre de Lyon
du 1er au 11 décembre

Comédie de Béthune – CDN
du 10 au 12 mars 2022

Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence
les 17 et 18 mars

La Villette, Paris
du 25 au 28 mars

Crédit Photo ©Pierre Gondard

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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