
Une adaptation fine et belle de Mlle Julie au Girandole
Il y a depuis longtemps une lecture allégorique, convenue, bourgeoise et conformiste de la pièce de Strindberg. A la Girandole de Montreuil, un miracle a lieu. L’âme authentique de Mademoiselle Julie voit le jour au sein d’un spectacle magnifique.
Strindberg auteur naturaliste était admiré par la classe ouvrière. Il reniera toutefois très vite le socialisme pour découvrir Nietzsche avec qui il correspond jusque pendant la folie de ce dernier. L’écrivain suédois explore un naturalisme qui pourchasse l’individuel plutôt que le collectif, l’ipséité plutôt que la simpliste explication sociologique. La presse encore aujourd’hui applaudit à raison au geste de deux femmes, Moni Grégo et Roxane Borgna, se précipitant sur la critique pavlovienne du patriarcat et l’apologie de l’émancipation de la femme. Mais le propos est ailleurs. Se sourçant à l’origine du texte, les deux artistes s’occupent du sui generis de Mademoiselle Julie. Enfin, enfin, enfin! Mademoiselle Julie devient une personne singulière à la biographie unique, un Homme comme un autre; sa folie se découvre attachante et édifiante.
Au plateau, deux hommes et une femme. Acteurs chanteurs danseurs vidéastes, ils créent un univers, celui de l’alcôve au sein de laquelle se déroule le drame de Jean et de Julie; histoire tragique. Une histoire d’identité, d’amour, de perte et de mort. L’histoire d’une rencontre entre une femme à fleur de peau et un homme dont la raison parle avant le cœur. Les deux êtres sensibles, sensuels cherchent à s’émanciper de leur histoire familiale et sociale. Les émotions débordent, les symptômes suintent, les délires colonisent l’espace. Seulement éclairée pas une vidéo projetée en fond de scène, la pièce devient un huis clos immersif, dont nous savons que ni nous ni les deux amants n’en sortirons indemnes. Une danse de mort, un voyage vers notre nuit intérieure, vers notre intime indicible.
Le drame naturaliste devient un drame psychique. Il consiste en une plongée en profondeur au cœur de l’âme pour comprendre ce qui le constitue. Roxane Borgna est admirable, elle restitue l’ensemble du parcours psychanalytique. Strindberg a eu l’intuition que Mademoiselle Jullie se constitue en un sujet morcelé revendiquant un désir erratique et brouillon qui lui échappe. Elle est, à l’instar de son désir, déstructurée. La comédienne embrasse tout, elle restitue au plus juste le corps et la voix de cette femme désemparée par sa quête d’elle même et donc de son désir, et en même temps bousculée par ce même désir. Un feu qui l’entame et se soustrait sans cesse laissant place à une femme galvanisée et gouvernée par sa jouissance. Nous sommes au coeur de son moi, un moi instinctuel, enfantin, un moi qui souffre, produit d’une histoire familiale tragique.
La mise en scène enchaine les motifs, à chaque fois de grande beauté. Notons enfin que Jacques Descorde (Jean), soutient la puissance de la pièce de bout en bout.
Le public est captivé. Cette adaptation brillante de Strindberg nous interdit de la rater.
d’après Mademoiselle Julie d’August Strindberg
Mise en scène Roxane Borgna
Avec Jacques Descorde, Roxane Borgna, Laurent Rojol