Théâtre
Supervision, une plongée dans le monde voilé de l’hôtellerie-restauration au Théâtre 14

Supervision, une plongée dans le monde voilé de l’hôtellerie-restauration au Théâtre 14

29 January 2020 | PAR Zoé David Rigot

Le petit Théâtre 14, qui ne paie pas de mine de l’extérieur, se révèle un lieu magnifique, douillet, et très chaleureux. Il a réouvert ses portes il y a un peu plus d’une semaine, le 20 janvier, avec Marina Hands et Pascal Rambert, et sa programmation continue de nous enchanter – et de nous revivifier.

 

Dans L’être et le néant, Jean-Paul Sartre décrit un “garçon de café” pour suggérer l’idée  de la « mauvaise foi ». La mauvaise foi, selon lui, serait l’état dans lequel nous ne sommes pas nous-mêmes, quand on se ment. Ainsi, les serveurs et serveuses joueraient un jeu, celui du service, et seraient obligés de s’y tenir afin de préserver quelque dignité aux yeux des clients. C’est de cette manière que commence le livre Êtes-vous qualifié pour servir ? (2010) de Sylvie Monchatre, sociologue sur laquelle s’est appuyée Sonia Chiambretto pour écrire son texte.

En France, les employés dans le monde de l’hôtellerie-restauration représentent plus de deux cent mille emplois. Il existe des qualifications et des diplômes pour chacun des corps de métier, et pourtant, on ne les connait pas beaucoup : ils et elles doivent être discrets, au service du client – car “le client est roi”. Si ça ne va pas, on se tait, pour la réputation de l’établissement, pour son honneur et sa fierté ! 

Dans une rhapsodie théâtrale en enchaînement de contextes contrastés, Supervision s’attarde sur les travailleurs d’un grand hôtel de luxe et leur donne la parole. Alors que la scénographie d’Anne Théron et de Barbara Kraft nous amène immédiatement dans l’hôtel, le texte de Sonia Chiambretto est poétique, saccadé quelque fois, les mots déboulent en flots trop longtemps retenus, ça bégaie, ça chante, et ça siffle. La mise en scène d’Anne Théron est dépouillée, enrichit ainsi le texte de sa sensualité, et permet une polysémie poétique qui dévoile et déploie les ambiguïtés du travail et des employé·e·s. Ces personnages, tous très différents des uns et des autres, doivent jouer et déjouer l’autorité à leur manière, en pleurer ou en rire, s’en agacer ou la quitter, encore, dans un travail de présence intense, parfois d’un aspect chorégraphique qui tend vers le burlesque.

On aimerait tout de même connaître un peu plus ces gens, que le texte s’appesantisse sur leurs sentiments et leur subjectivité, peut-être un soupçon de profondeur de plus… mais la machine de l’hôtel les arrache de notre attention, ils se voient repris par la tornade de choses à faire, et sont appelés par l’Autre. Nous sommes ainsi privés d’une rencontre plus intime avec ces travailleurs par la grandeur impersonnelle et impériale de l’hôtel de luxe. Pourtant, une interactivité est suggérée par le travail des comédiens (Frédéric Fisbach et Adrien Serre) et de la comédienne (Julie Moreau): la double énonciation fonctionne si bien que l’on serait parfois tenté de répondre au texte. La réplique des comédien·n·e·s, en rompant la possibilité d’une interaction avec le public, est le seul garde-fou qui empêche de basculer dans le vide laissé par l’absence de quatrième mur. On rigole devant la dérision que seuls la serveuse, le barmaid, le gouverneur d’étage ou la femme de ménage peuvent se permettre. On rigole de l’absurdité. Car nous sommes le public, d’où s’échappe une voix mécanique et impersonnelle dont on ne peut voir l’origine…

 

 

Visuels : ©Jean-Louis Fernandez

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